Page 279 - Livre Beau-Rivage Palace
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Fig. 4  Fig. 5   Fig. 6                                                  Fig. 7

 surface gazonnée sur laquelle ne mord, côté façade, qu’une demi-  programme ; l’usage de la langue latine l’ancre dans une « tradition »,   circulaire à jet d’eau, qui coupait en son centre un tapis de ga-  sans doute dans le dessein de mieux correspondre à l’image d’une
 lune dallée, parfaitement appropriée à l’installation d’un orchestre   et la référence à un « chez soi » – que l’ambition du projet ne per-  zon rectangulaire déployé le long du quai. Un changement de   Suisse « rustique » et « alpestre » véhiculée par les arts graphiques, la
 ou d’un barbecue…   met d’envisager que patricien – affleure dans les implicites attachés   l’implantation du bâtiment, dont la façade n’est plus parallèle au   littérature et l’opéra , qui culminera lors de l’Exposition nationale
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 à plusieurs des dispositifs projetés. Les architectes tirent le meilleur   rivage, motive probablement un ajustement du projet dans le sens   de Genève en 1896. Ces mêmes conifères meublent l’arrière-plan
 LE PARC  parti de cette surface d’exploitation a priori problématique – qui   d’un jardin semi-paysager qui conserve la disposition axiale, la   d’une esquisse à l’huile de Bocion représentant la fontaine située
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 Ubi bene, ibi est patria .  interdit, à l’est comme à l’ouest, toute possibilité de prolonger   terrasse en demi-lune et le bassin, mais condamne la géométrie   à l’est du bâtiment, qu’ils permettent de dater avec certitude, mais
 Attribué à cicéron  un jardin à la française se déployant dans l’axe du bâtiment – en y    des autres éléments au profit d’un tracé plus libre, en courbes   hélas, sans grande précision, avant 1890, année de la mort du pein-
 logeant un parc à l’anglaise. Cette solution présente un double in-  et contre-courbes, mieux à même d’épouser les contours d’une   tre  (fig. 11).
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    Les premiers jardins du Beau-Rivage étaient vastes au contrai-  térêt. Elle répond, d’une part, à la sensibilité romantique d’une épo-  configuration asymétrique. Deux variantes nous sont parvenues,     En 1902, la création du quai motive l’installation d’une grille
 re, car si le bâtiment disposait d’une superficie inférieure, il était   que éprise de sentes sinueuses et de bosquets « mystérieux ». D’autre   dont l’une est datée du 29 décembre 1857, soit moins de deux   dessinée par Théophile Van Muyden . Le dispositif à claire-voie
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 précédé au sud d’une parcelle en pente douce s’étendant presque   part, elle imite « le temps » qui juxtapose, dans les parcs de nombreu-  mois après le premier dessin soumis au jury (fig. 3 et 4). Dans ces   sépare les hôtes de l’hôtel de la population des promeneurs en
 jusqu’au lac, bordée d’un quai grevé d’un droit de passage. Cette   ses maisons de maître, les témoins d’époques différentes  qui se   deux projets, la partie sud du jardin est celle qui fait l’objet des   permettant à chacun de voir et d’être vu. Il préserve la respiration
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 voie étroite qu’il convenait de réserver à la circulation publique,  côtoient comme, à l’intérieur, les meubles de styles hétéroclites où   plus importants remaniements ; elle fonctionne comme élément   du parc, ne lui voile rien du paysage, mais surtout confirme le
 élargie de 1896 à 1901, deviendra le « grand quai  ».  la sévérité « étrusque » d’un ensemble néo-classique peut sans en-  de raccord entre les aménagements auxquels l’ordonnance du   privilège de ceux qui y ont accès en offrant à chacun le spectacle
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    L’hôtel projeté fait l’objet d’un concours auquel participent   combre tenir compagnie aux grâces primesautières d’un boudoir   bâti impose la symétrie et le biais du rivage. La réalisation docu-  de leur bonheur. La majesté du portail, aux piles ornées de têtes de
 neuf bureaux d’architectes . Les trois projets primés, dont les plans   Louis  xv… La décoration intérieure de Beau-Rivage procédera   mentée par l’iconographie fait état d’une troisième solution – à   béliers et amorties par des vases Médicis, renvoie au modèle de la
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 nous sont parvenus, représentent le bâtiment mis en valeur par des   de cette même « stratification diachronique » que l’on observe dans   bien des égards plus élégante – qui supprime les contre-courbes   propriété patricienne. Cette référence aristocratique, qui prévaut
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 jardins géométriques, assurément plus propres à exhausser la symé-  les demeures anciennes, une pratique si répandue aux xix  et xx    et fait converger les lignes incurvées vers un point unique, à l’op-  jusqu’au dernier tiers du xx  siècle, préservera longtemps les jardins
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 trie d’une façade dont ils s’affirment comme le prolongement, que   siècles qu’elle pourrait passer inaperçue. Ainsi le patricien en villé-  posite de l’avant-corps, dessinant une figure en écu reprise par un   anciens, considérés comme des espaces à contempler plutôt qu’à
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 les parcs paysagers alors en vogue , dont les lignes sinueuses se lo-  giature et le bourgeois retrouvent-ils à l’hôtel quelque chose de la   cœur « en abyme » (fig. 5 et 6).  exploiter. Les altérations, le plus souvent mineures, étant gouver-
 vent autour des hôtels construits en altitude ou sur des reliefs acci-  maison familiale, réelle ou fantasmée…  nées essentiellement par des conceptions esthétiques. En fait de
 dentés qui appellent un traitement « pittoresque ». La calme étendue   ALTÉRATIONS  substance historique, l’émergence, voire le primat, de considéra-
 du paysage lacustre et le terrain régulier, en pente douce, imposent   Les arbres, les rochers, et les eaux, et les fleurs  I say, a moving grove.  tions d’un autre ordre entraînera de plus lourdes pertes.
 aux architectes le mode majestueux, un solennel face-à-face entre   Ce sont là vos pinceaux, vos toiles, vos couleurs :  shAkespeAre     Les arbres ont droit à plus d’égards que la composition même
 nature et culture, réminiscence des fastes de l’Ancien Régime.  La nature est à vous ; et votre main féconde  Macbeth, Acte V, scène 5.  du jardin, comme si, parce qu’ils sont vivants et non « conceptuels », ils
    Bien qu’ayant attribué le premier prix à Time is Money, de   Dispose, pour créer, des éléments du monde.  étaient plus proches d’une nature présumée vierge et innocente qu’il
 l’architecte François Gindroz de Genève, le conseil d’adminis-   delille     Si les premières photographies de l’hôtel donnent à voir un   conviendrait de protéger . En 1904, un « programme pour l’agrandis-
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 tration confie l’exécution à Achille de La Harpe et Jean-Baptiste   Les Jardins, chant I .  jardin tracé encore en friche, l’examen de deux gravures, que les   sement projeté de l’Hôtel Beau-Rivage » objecte au projet d’une ex-
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 Bertolini – dont le projet intitulé Ubi bene, ibi est patria, est jugé   costumes de promeneurs opportunément disposés dans les allées   tension à l’orient de l’édifice existant qu’il « importe […] de ménager
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 « équivalent » à celui du lauréat. Le mandat des Lausannois se com-     Le projet présenté au concours par Bertolini et la Harpe, dont   autorisent à dater respectivement des années 1865 et 1880, permet   les belles plantations du parc »  . Même prévenance dans les années
 prend dès lors comme une fusion de leur projet avec celui de leur   témoignent une esquisse sur calque portant des traces de repen-  d’apprécier l’évolution précoce des plantations (fig. 7 à 9). Alors   soixante-dix, lors de la mise à l’enquête de la première piscine et
 confrère. C’est sur ce mode « mixte » qu’est réalisé le bâtiment, mais   tirs  et un dossier composé d’un plan et de deux coupes , prolon-  que le premier document montre une répartition du végétal essen-  de la « passerelle provisoire de liaison entre les bâtiments est et ouest »  :
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 rien ne sera retenu du projet genevois pour ce qui est des abords,  geait la façade du bâtiment par une terrasse de plain-pied bordée   tiellement symétrique, concourant à une mise en valeur du tracé, le   alors que l’abattage, au sud, de deux séquoias qui compromettent
 dont l’aménagement conservera de nombreuses caractéristiques du   d’un mur de soutènement couronné d’une plate-bande ; on y ac-  second atteste l’adjonction de sapins – ou de conifères de même sil-  la construction fait l’objet de discussions entre le bureau techni-
 premier plan de Bertolini et la Harpe.  cédait par un escalier central à volées divergentes (fig. 2). Partant   houette – encore jeunes, disséminés de façon irrégulière sur le terrain.  que de l’hôtel et le service des Parcs et Promenades, le premier des
    Ubi bene, ibi est patria : le titre assume doublement sa valeur de   des ailes de l’hôtel, deux rampes convergeaient vers un bassin   Le choix de cette essence relève d’une esthétique du pittoresque,  arbres périt d’une maladie, qui ne tarde pas à emporter son congénère,

 Jean-Baptiste Bertolini et Achille de La Harpe architectes,   L’Hôtel Beau-Rivage et son parc vus du château d’Ouchy.   Beau-Rivage Palace, Ouchy-Lausanne, le parc vu du sud.  Le Beau-Rivage vu du lac.
 Plan général de la partie de la propriété de Beau-Rivage   Photographie à l’albumine, avant 1880.  Carte postale, vers 1920.  Photographie à l’albumine, avant 1864.
 touchant la propriété Longchamp.
 Encre de chine et aquarelle sur papier, sans date [1857].

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