Page 277 - Livre Beau-Rivage Palace
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Fig. 1           Fig. 2                                                  Fig. 3

 JARDINS DE SOUVENIRS    on imagine moins spontanément un conciliabule de colonnes, un   planté en 1908 qui passe pour avoir été dessiné par l’un des plus
                      Prosopopée éloquente – qu’on me pardonne le pléonasme :
                                                                          célèbres architectes paysagistes du  xx  siècle : Achille Duchêne,
                                                                                                          e
 JARDINS D’OUBLI  colloque de pilastres, un dialogue d’obélisques ou un symposium   auteur, avec son père Henri, des jardins du Champ-de-Mars à
                  de balustres…                                           Paris, de ceux de Blenheim, pour le duc de Marlborough, res-
                      En fait de plantations anciennes, l’entretien et l’abandon ont   taurateur des jardins de Versailles et de Vaux-le-Vicomte … Les
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                  souvent le même effet ; tous deux gomment progressivement – et   archives sont laconiques quant à sa création – peut-être assimilée,
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                  nulle part ailleurs : « La toute-puissance […] de l’architecte ne s’exerce   l’on croirait à une affabulation ou à quelque légende lausannoise
                  pas dans la force du bâti, qui dans les faits ne dépend pas de lui, mais uni-  si de rares albumines jaunies ne témoignaient de son existence
                  quement à travers l’exercice fragile du dessin  ».      spectrale (fig. 1). Le fait que le nom de créateurs aussi renom-
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                      Ainsi l’histoire des jardins s’écrit-elle souvent sur le mode du   més n’apparaisse jamais dans les archives – qui mentionnent par
                  négatif. Les modifications ne semblent laisser de traces archivisti-  ailleurs l’adjudication du dallage à la Société de construction de
 Vincent KRENZ
                  ques que lorsque leur importance demande une mise à l’enquête   Neuchâtel pour 7.15 francs le m  – invite à mettre cette attribu-
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 SCRIPTA MANENT, HERBA VOLAT…  de métaphores, telle la fameuse  « lisibilité » du plan  ? et com-  publique ou l’octroi d’un crédit particulier, la majorité d’entre    tion en doute. Que ces aménagements, dont les plantations de
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 Dans le vieux parc solitaire et glacé  bien – comme le relève Gianni Contessi  – de textes publiés par   elles – percements de sentiers, créations ou destructions de massifs,  vivaces se développent en cernes concentriques plus qu’elles ne
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 Deux spectres ont évoqué le passé.  des architectes ? Scripta manent, verba volant : l’architecture paysa-  de haies, de plates-bandes ou de corbeilles, abattages ou plantations   se déploient en élégantes arabesques inspirées par les planches
 – Te souvient-il de notre extase ancienne ?  gère semble, quant à elle, bien souvent aussi volatile et éphémère   mineures – sont l’œuvre de jardiniers préposés aux soins quotidiens.  de Désallier d’Argenville, chères aux Duchêne, soient ou non
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 – Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?  que la parole. Alors que les plans d’exécution d’un bâtiment fi-  Les frais engagés, englobés dans un budget d’entretien , ne font que   l’œuvre des célèbres Français, leur organisation en pièces cou-
 – Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?  gent l’aboutissement d’un long processus jalonné d’esquisses, de   sporadiquement l’objet de devis séparés, rarement de plans jugés   pées témoigne d’un retour en grâce du jardin géométrique bien
  Toujours vois-tu mon âme en rêve ? – Non.  variantes, de mises au net et de détails, ceux d’un jardin ne rendent   dignes d’intégrer les archives.  dans l’air du temps, et dans lequel les restaurateurs de Vaux et de
 verlAine  souvent compte que d’un état idéal appelé à n’exister jamais que   Versailles jouèrent un rôle de premier plan.
 Fêtes galantes, « Colloque sentimental ».  dans les vœux du concepteur. Les arbres du parc ont-ils atteint   LA TERRASSE     Tel fut le seul jardin privatif du Palace, annexe construite en
 les proportions de ceux aquarellés sur la feuille de papier ? Les   Mes espaces sont fragiles :  1908 à l’occident du Beau-Rivage, qui donnait directement sur la
 Les jardins parlent peu, si ce n’est dans mes livres.  saisons écoulées depuis leur plantation ont vu déjà la correction   le temps va les user, va les détruire :   promenade publique. Les usages sociaux de l’après-guerre, conta-
 lA fontAine  du tracé de tel sentier, dont on évitait souvent le contour pour   rien ne ressemblera plus à ce qui était,  minés par une american way of life connotée de plus en plus posi-
 Fables, VIII, 10, « L’ours et l’amateur de jardins ».  gagner du temps, la suppression de tel bosquet qui gênait le jeu   l’oubli s’infiltrera dans ma mémoire, je regarderai sans les reconnaître   tivement par les élites continentales, consacrent une perméabilité
 de croquet, la plantation de telle essence admirée chez un voisin   quelques photos jaunies aux bords tout cassés.  croissante des sphères du « formel » et de l’« informel ». Ils autorisent
    Genèse : tout commença, nous dit-on, dans un jardin – « Au   par le maître des lieux.   Georges perec  la tenue d’événements mondains : thés, apéritifs et même dîners, en
 commencement était le Verbe » : le végétal participerait-il de la parole      Le  jardin étant constitué  de matière vivante,  et  partant ca-  Espèces d’espaces.  plein air, qui condamnent bien souvent les plantations destinées
 emportée par le vent, transformée, oubliée sitôt proférée ? Les jar-  duque, nul ne s’étonne de ses métamorphoses, et il n’est pas rare   à  n’être contemplées  que  de  loin  ou  à  la  faveur  d’une  prome-
 dins historiques sont souvent comme une voix qui bientôt se fait   qu’on lui prête des desseins ou facultés humaines : la forêt de    « Il y a deux ans, lors de la réfection de notre grande terrasse sur   nade, mais dont la superficie interdit les rassemblements importants.
 ténue, imperceptible ; les témoins, dont la mémoire se brouille, dis-  Birnam assiège Macbeth, et une pensionnaire du Beau-Rivage    les magasins, il était apparu que les calculs de béton armé, à ses débuts   L’exploitation de la « grande terrasse », ainsi désignée dans les procès-
 paraissent progressivement et déjà, on en a perdu souvenance.  Palace , inspirée par les beautés du parc, écrit en 1937 : « Le cèdre du   en 1906, comportaient un coefficient de sécurité insuffisant, en compa-  verbaux des séances de la  sio, comme « salon extérieur » pour les
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    Si le travail de l’architecte est souvent comparé à l’écriture    Liban dont la branche succombe – Au lointain souvenir d’un passé doulou-  raison avec ce qui est exigé aujourd’hui… » : c’est ainsi qu’au détour   réunions estivales, compromise par la canalisation des circulations
 – combien  de  « vocabulaires », de  « lexiques » et  « grammaires » de    reux, – Le sombre araucaria, à l’heure où la nuit tombe – Sous le souffle du   d’une phrase d’un rapport du conseil d’administration de l’hôtel   imposée par le passe-pied et par l’emprise au sol des massifs plan-
 l’architecture sur les rayons de nos bibliothèques ? combien aussi   vent, se parlent-ils entre eux ?  de 1958, apparaît la date de disparition d’un parterre à la française   tés, motiva vraisemblablement son remplacement par une simple

 Beau-Rivage-Palace. Ouchy-Lausanne. La grande terrasse vue de l’ouest.  Jean-Baptiste Bertolini et Achille de La Harpe architectes,   Jean-Baptiste Bertolini et Achille de La Harpe architectes,
 Carte postale, vers 1920.  Plan de situation avec première esquisse du jardin.   Plan de situation de l’hôtel d’Ouchy [et] Profil du terrain sur l’axe du Bâtiment,
                  Mine de plomb sur papier avec calque contrecollé.       signé et daté 29 décembre 1857 en bas à droite.
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