Page 344 - Livre Beau-Rivage Palace
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SOUVENIRS






                                  LA MALLE AUX PAPILLONS

                                                    VERS 1925









                                                       Nicole LANDOLT-SANDOZ











                                                                                                                                                             De multiples jeunes grooms s’affairaient autour de l’énorme ascenseur au banc en tapisserie

                  « Ça y est ! Nous partons pour Beau-Rivage à Lausanne. L’omnibus, réservé d’avance                                                        et aux parois en marqueterie, qu’ils actionnaient en tirant sur une corde que parfois les jeunes
          à la gare de Lyon à Paris, vient nous chercher avec les petits bagages car les grandes malles sont déjà                                               hôtes pouvaient toucher. Ils se nommaient, entre autres, Maurice et Paul, qui ont vieilli
              parties la veille. Après sept heures de train, nous arrivons à la gare de Lausanne aux multiples                                             à l’hôtel et reconnaissaient encore leurs hôtes, vieillis comme eux, sur le quai ou aux assemblées
                  porteurs qui, eux, traversent les rails et vont plus vite que nous qui devons descendre,                                                     générales où Paul venait avec son épouse, Ernestine, qu’il avait épousée alors qu’elle était

               puis remonter les escaliers. Et nous arrivons à la sortie des ‹ Portiers d’hôtels ›, certains avec                                                                         jeune femme de chambre à l’hôtel […].
             seulement des gilets rayés et des tabliers verts, d’autres en uniformes avec une casquette. C’est
                   le cas du portier de Beau-Rivage qui, après nous avoir salués et réuni nos bagages,                                                       [Mes parents avaient leur chambre au-dessous de celle des McCann]. Helen, Frances et moi
          nous ouvre la porte de la grande voiture qui nous descend [à l’hôtel] où nous accueillent, en habits                                            correspondions au moyen d’un panier, d’un étage à l’autre grâce à un va-et-vient fait d’une ficelle

          noirs, le directeur M. Egli, un peu ventru, et le cher M. Muller qui se frotte les mains et nous dirige                                            et muni d’une clochette. Bientôt, l’on nous fit arrêter ce trafic ‹ bruyant et inesthétique pour
            vers le bâtiment du Palace. Dans le couloir, nous jetons vite un regard sur la Gazette des étrangers                                            un bel hôtel ›. Nous jouions parfois dans le bas du parc aux agrès, balançoires ou croquet, tout
               afin de savoir qui réside à l’hôtel et quelles sont les festivités prévues. Ce journal a disparu                                                              en lorgnant vers le tennis où jouait le prince des Asturies […].
            avec la guerre de 1940, les gens préférant voyager incognito et ne faisant plus ces longs séjours

                                                où se liaient bien des amitiés.                                                                                  Lorsqu’il pleuvait, nous allions dans les locaux sous la terrasse. Là, c’était formidable :
                                                                                                                                                          l’atelier du tapissier qui entretenait tous les meubles de l’hôtel, un dépôt abritait de vieux chevaux
          Entre les années 1926 et 1939, la vie au Beau-Rivage Palace était bien différente de celle de 1989.                                                de bois sur ressorts… et surtout la pièce contenant les bagages abandonnés par des clients…
                À cette époque, il y avait deux entrées : celle de l’ancien Beau-Rivage et celle du Palace                                                 j’eus la joie d’assister à l’ouverture de l’une d’entre elles dont la propriétaire avait disparu depuis

                                                     où nous logions […].                                                                                 longtemps… le couvercle à peine soulevé, des nuées de mites, de petits papillons se sont envolés :
                                                                                                                                                                           toutes les fourrures, zibelines, petits gris, visons étaient dévorés… »









                                                                                                                                                                                        Nicole LANDOLT-SANDOZ, [Souvenirs], 1989, texte dactylographié non publié.







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