Page 42 - Livre Beau-Rivage Palace
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qui a transformé les anciennes auberges en hôtels. On remarquera Lausanne empruntée par les voyageurs, mais se trouve réellement poëme du Prisonnier de Chillon. » (Joanne, 1841, p. 157) Certains OUCHY (près Lausanne)
aussi que ces trois guides fondateurs recommandent presque les mê- excentré par rapport à la cité, la grande route de Genève arrivant ont mis en doute la véracité de cette anecdote. La vérité historique HOTEL BEAU-RIVAGE
mes établissements : « Inns : Faucon, excellent, but rather expensive ; – a à Montbenon, celle de Vevey arrivant au sommet de la rue de n’est cependant pas ce qui nous paraît ici le plus remarquable. Que Bureau de Poste et Télégraphe dans l’Hôtel. –
new house, to be called Hotel de Gibbon, is in progress (1838) ; Lion d’Or, Bourg et celles reliant Berne ou Yverdon se déployant dans les ce soit vrai ou non, nous nous trouvons devant un événement Terrasse magnifique, Splendides vues du Lac et des Alpes. –
a comfortable and not expensive house. » (Murray, 1838, p. 144). « Hôt. : hauts de la ville. Après 1823, le statut d’Ouchy connaîtra une dont les guides se sont immédiatement emparés pour le proposer Concerts tous les soirs dans le parc de Beau-Rivage
le Faucon, le meilleur, mais le plus cher ; le Lion-d’Or, la Couronne, les Ba- forte transformation, puisque, de décentré, ce lieu deviendra un à leurs lecteurs-voyageurs. Et si, à l’origine, l’histoire est reprise et soirées dansantes tous les mardis et samedis dans les grands
lances (prix plus modérés), Gibbon, nouvellement construit dans une excel- espace seuil, une entrée vers Lausanne ou un point de départ vers par les trois guides (anglais, français et allemand) indépendamment salons de l’hôtel. – Arrangements pour les familles qui désirent faire
lente position, et jouissant déjà d’une réputation méritée. » (Joanne, 1841, ailleurs (fig. 6). de leurs différences culturelles, on constate que sa pérennité varie un séjour pendant la saison d’été. – Pension d’hiver
p. 157). « Gasthöfe : Hotel Gibbon, sehr gut, treffliche Aussicht auf den La première mention d’une auberge dans les guides de notre d’une culture à l’autre : les Baedeker ne la racontent déjà plus en à prix exceptionnel.
See […]. Faucon, theuer ; Lion d’Or, billig und gut ; Balances, eben so. » corpus remonte à 1793 ; elle est évasive : « Environs. Ouchy, petit 1859 , les Joanne la relèvent jusqu’en 1865, tandis que les Murray
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(Baedeker, 1844, p. 320) village au bord du lac ; c’est le port de Lausanne. L’auberge est bonne » la perpétuent encore en 1886. A. MARTIN-RUFENACHT, directeur.
À partir de ce moment-là, l’hébergement à l’hôtel ne sera plus (Reichard, 1793). Il s’agit du Logis d’Ouchy (1775-1779), L’auberge de l’Ancre ne reste pourtant pas longtemps la (Joanne, 1882, annexe publicitaire)
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remis en question. Tout au plus verra-t-on les hôtels se multiplier , qui deviendra l’auberge de l’Ancre en 1820, et enfin Hôtel seule auberge d’Ouchy signalée par les guides. Cette précision
ou se diversifier en hôtels-pensions et pensions. Il serait fastidieux d’Angleterre à partir de 1868. En 1816, l’édition, non reconnue est importante, car ce serait une erreur de croire qu’ils reflè- La hiérarchie des thèmes mis en valeur glisse d’un élément
de relever un à un les nombreux hôtels et pensions de ce lieu de par Ebel, de son guide se montre un peu plus bavarde sur les tent le « réel » dans son entier : ils n’en reflètent qu’une part, fil- d’abord purement pratique (le bureau de poste et de télégraphe)
passage et de villégiature réputé qu’a été Lausanne entre 1850 et lieux, mais pas sur l’auberge ; la qualité de la maison est cependant trée, qui plus est, par la subjectivité du rédacteur. Peu après et à la vue ou au spectacle (ces incontournables du tourisme qui
le début du xx siècle, le caractère répétitif de l’énumération et la toujours attestée : « [Excursion] 1° au village d’Ouchi qu’on voit suite au progressif développement touristique du site, d’autres consomme les espaces comme n’importe quelle marchandise), aux
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contraction de la langue n’aidant pas non plus à rendre l’exercice à ½ l. au-dessous de Lausanne ; on y trouve une fort bonne auberge ; hôtels et pensions ouvrent leurs portes (fig. 7). Le premier hô- plaisirs des concerts et de la danse, et finalement à divers aména-
particulièrement attrayant. Rappelons que les guides sur lesquels Ouchi peut être considéré comme le port de Lausanne. C’est une prome- tel à être ainsi mentionné dans les guides est le Beau-Rivage, gements financiers (fig. 8). Pourtant, on constate que là non plus,
nous travaillons voient se produire dans les premières décennies du nade délicieuse et des plus riches en magnifiques points de vue que celle qui, dès son inauguration en 1861, prend à l’Ancre sa premiè- aucun chiffre n’est donné. Si les guides Murray montrent la même
xx siècle de grandes transformations, puisque Murray arrête sa pu- d’Ouchi à Cour et dans les environs, ainsi qu’à la ferme aux Cerises. » re place : « hôt. : Beau-Rivage, un des plus grands, des plus beaux, retenue, ce n’est pas du tout le cas des guides Baedeker, qui alignent
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blication en 1904, les Guides Joanne deviennent les Guides bleus (Ebel, 1816, p. 361) des mieux situés et des mieux tenus de toute la Suisse » (Joanne, pour chaque hôtel cité plusieurs chiffres (les prix des chambres, du
pendant la Grande Guerre et les Baedeker interrompent leur série Si le nom exact de l’auberge n’est toujours pas donné, un 1865, p. 85). En 1874, le même guide le qualifie d’« établisse- déjeuner, du dîner ainsi que du service et de la bougie – si néces-
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sur la Suisse après 1928. Il est par contre intéressant de se concen- élément très important pour l’attrait touristique des lieux ressort ment de premier ordre » qui se mue en « établissement de tout 1 saire avant l’électricité…) et, comme en corollaire, toute une série
trer sur un parcours particulier, ce que nous nous proposons de clairement : la beauté du site, à la fois magnifique spectacle et accès ordre » en 1908. Si les commentaires de Joanne concernant d’abréviations qui rendent ces descriptions extrêmement touffues
faire pour Ouchy. à d’autres magnifiques spectacles. Ici, en effet, le regard se tourne cet hôtel sont superlatifs, on constate que ses appréciations ne et donnent l’impression d’une sorte de sabir touristique auquel il
non seulement sur la campagne en elle-même, mais aussi vers l’ex- contiennent aucun chiffre. Elles sont aussi (c’est une des règles faut être initié. En 1876, la présentation du Beau-Rivage prenait
LE DESTIN TOURISTIQUE D’OUCHY térieur, cet espace proposant de nombreux et superbes points de du genre) extrêmement brèves. Si l’on souhaite des descriptions ainsi cette forme : « Hôtels : *Beau-Rivage, (ch. 3 à 5 fr., boug. 1 fr.,
À la fin du xviii siècle, Ouchy est un petit village de pê- vue sur d’autres lieux. Que souhaiter de plus au moment où le plus longues, c’est dans les publicités qu’il faut aller les chercher. serv. 1 fr., déj. 1 fr. 50, dîn. 5 fr.), avec un magnifique parc, des bains, etc.,
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cheurs tout à fait distinct de Lausanne qui s’arrêtait alors à la hau- tourisme est à la recherche d’émotions de plus en plus spectaculai- Mais, comme les guides se font souvent un point d’honneur à recommandable pour un séjour prolongé. » (Baedeker, 1876, p. 208) L’as-
teur de la place Saint-François. Dans les guides de l’époque, cette res ? Un voyageur romantique cultivé répondrait toutefois que l’on ne pas en accepter pour, disent-ils, garder leur indépendance, ce térisque précédant le nom de l’hôtel est le signe de son excellence,
autonomie est clairement lisible et Ouchy est mentionné comme pourrait y adjoindre une référence littéraire permettant de venir y n’est pas chose fréquente ou alors dans des conditions très stric- puisque pendant tout le xix siècle et jusqu’à l’arrêt de 1928, les
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un lieu détaché de Lausanne, faisant partie de ses « environs » et expérimenter une émotion esthétique forte. Par chance, celle-ci tes. Entre les années 1860 et 1880 en tout cas, les guides Joanne guides Baedeker n’attribuaient qu’une seule étoile aux hôtels (fig. 9).
essentiellement but de « promenade » ou d’« excursion ». Il faut dire se concrétisera peu après et tous les guides s’en feront désormais ont toutefois imprimé, en plus de leurs pages, un cahier annexe Le « etc. » a un statut un peu particulier : il interrompt en effet l’énu-
aussi qu’avant 1823 et la mise en service d’un premier bateau l’écho : c’est précisément dans cette auberge que « lord Byron, retenu de publicités sur du papier coloré. Dans l’édition de 1882, le mération des services disponibles tout en invitant à les prolonger par
à vapeur sur le Léman, Ouchy n’est pas sur une route d’accès à par le mauvais temps, écrivit en deux jours, au mois de juin 1816 son beau Beau-Rivage y fait paraître l’annonce suivante : l’imagination. Peut-être nous renvoie-t-il ici à l’une des fonctions
Godefroy Engelmann, Vue du port d’Ouchy sous Lausanne. L’Hôtel d’Angleterre, la maison Longchamp et le Beau-Rivage. Fig. 8 >
Estampe, 1823. Photographie, vers 1860-1868. J. J. Friederich (dessin), Hôtel Beau-Rivage Lac de Genève. Estampe, 1861.
De telles images rassemblent et diffusent – peut-être pas sciemment – les deux
mythes dans lesquels l’État fédératif d’après 1848 tente de s’unir : celui d’un peuple
traditionnellement alpin auquel les scientifiques, forts des récentes découvertes
archéologiques des sites de palafittes à Zurich et dans la région de Neuchâtel
notamment, opposent celui d’une culture originellement lacustre.
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