Page 39 - Livre Beau-Rivage Palace
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 (construction de nouvelles routes et amélioration des revêtements),  différents facteurs, et notamment le temps et l’argent. Au contraire   La prise en compte des auberges ou des lieux d’hébergement dans   l’accueil et de la société ainsi que la beauté du site en général, il
 que les moyens de déplacements (mise en place de services de dili-  de ceux du Grand Tour, les voyageurs « nouvelle formule » peuvent   ces ouvrages s’inscrit précisément dans cette histoire.   ne mentionne par exemple aucune auberge, alors que l’on sait que
 gences, voitures plus rapides et confortables, vitesse de déplacement   moins facilement se tenir éloignés de leurs affaires plus de quelques   Lausanne en comptait beaucoup à l’époque, spécialement à la rue
 en augmentation), ou encore la durée des voyages qui commence   semaines, tandis que l’ouverture à de nouvelles classes sociales – il   SE LOGER À LAUSANNE   de Bourg. Les seuls hébergements qu’il relève ont trait au logement
 à se contracter. Ils concernent en outre les voyageurs eux-mêmes   s’agit tout de même de personnes très aisées – demande progres-  ENTRE GRAND TOUR ET TOURISME  chez l’habitant, qui remplit visiblement alors un rôle économi-
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 dont le profil se démocratise lentement, les raisons du voyage   sivement une prise en compte des coûts plus minutieuse. Cette      Lausanne est depuis le xvii  siècle sur l’une des routes parcou-  que non négligeable. Il ne donne cependant pour ceux-ci aucune
 qui devient progressivement un pourvoyeur d’émotions plus que   économie acceptée du temps et de l’argent (mais aussi des moyens   rues par les grands-touristes pour se rendre en Italie. Très vite, elle   adresse ni aucun nom qui pourraient permettre à un voyageur de
 d’information et de culture, ses buts enfin qui se diversifient (la   et du savoir) se double peu à peu d’une volonté de rendement : on   est louée pour la beauté de sa situation, la qualité de son accueil   les identifier pour s’y rendre. Ce silence était d’ailleurs tout à fait
 Suisse  et les Alpes glissent à la fin du xviii  siècle de simple lieu   veut rentabiliser son investissement, avoir son comptant de spec-  (tant aux voyageurs qu’aux réfugiés protestants), la variété et la   courant à l’époque et s’explique probablement par le fait qu’un
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 de passage à destination avérée de voyage). À toutes ces transfor-  tacle et d’émotion. Cette évolution transforme graduellement les   densité de sa vie sociale, et pour la salubrité de son air, ainsi que le   voyageur se déplaçait rarement seul, mais engageait un cocher ou un
 mations tant pratiques que techniques, économiques, sociales et   rapports que les voyageurs entretiennent avec les lieux visités : la vi-  relèvent François-Maximilien Misson dès 1691 et Thomas Martyn   avant-courrier qui, eux, connaissaient le pays. Nous relevons ici tout
 culturelles, on peut encore ajouter une évolution des sensibilités   tesse engendre plus de superficialité et la volonté de voir le monde   en 1788 : « La situation de Lausanne est extrémement rude, & cet endroit   ce qui a trait à l’accueil dans l’article de Heidegger sur Lausanne :
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 qui fait que, dans le courant du xviii , on quitte aussi peu à peu   comme un spectacle rend le voyageur de plus en plus consomma-  a je ne sais quoy, qui paroist d’abord sauvage ; cependant j’ay remarqué  « La bonne compagnie & les manières prévenantes des habitans y attirent
 l’esthétique classique au profit de celle du pittoresque d’abord, puis   teur d’espaces. Qui, du touriste ou de l’industrie touristique, a le   que cette Ville est aimée de tous ceux qui la connoissent. Il y a diverses   beaucoup d’étrangers […]. Il y a aussi une bibliothèque, mais qui n’est
 du sublime (fig. 1). Brouillant les codes anciennement admis, cette   plus influencé l’autre ? On ne saurait le dire, dans cette stimulation   promenades fort agréables, particulierement vers le Lac  ; & on se loüe   pas fort nombreuse, ni très-fréquentée, à cause de la quantité de distractions
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 dernière entremêle alors l’agréable et l’horrible , le beau et l’ef-  réciproque de l’offre et de la demande… (fig. 3 et 4)  fort de la civilité des Habitans. Ne vous attendez pas que je vous en fasse   sociales. La ville a une très-belle situation, pittoresque, & des promenades
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 frayant, et se met en devoir d’exalter l’un en le confrontant à l’autre.     Au tournant des xviii  et xix  siècles, et accompagnant cette   aucune description, car je n’en connois que ce que j’y ay pû voir pendant   charmantes […]. Le principal revenu des habitans consiste en loyers et
 Les Alpes s’affirment comme le lieu où il est possible de ressen-  évolution, les guides de voyage connaissent eux aussi une profonde   deux ou trois heures. » (Misson, 1722 [1691], t. 2, p. 89) « Les étrangers   pensions que les étrangers leur payent. » (Heidegger, 1787, p. 84-85)
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 tir des vertiges à la fois physiques, intellectuels et émotionnels, où   transformation. En redéfinition d’eux-mêmes, ils s’engagent alors   y sont bien logés et bien reçus : l’air y est pur & sain ; les eaux & les choses      Pourtant, si Heidegger ne les mentionne pas encore , l’appa-
 l’être humain se sent petit et infiniment fragile face à une nature   dans le chemin qui va les mener à leur forme « moderne », aux en-  nécessaires à la vie y sont abondantes & très-bonnes, les environs montueux.  rition des premiers noms d’auberges dans les guides est contem-
 immense et perçue comme permanente (fig. 2).   virons des années 1840 . Si l’on a pendant longtemps utilisé com-  Les étrangers se plaisent dans cette ville, non pour la ville en elle-même qui   poraine, comme on le voit dans le Guide du voyageur en Suisse de
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    La transformation du Grand Tour en tourisme – du point   me guides de simples récits de voyage que leurs auteurs avaient    n’a rien d’agréable, mais pour sa bonne société, pour la beauté de ses vues,  Thomas Martyn dès 1788  : après l’indication de lAusAnne, un as-
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 de vue terminologique, le second dérive du premier – s’opère   tâché de rendre le plus neutres possible, on voit à partir des années   pour la pureté de l’air qu’on y respire, & pour la liberté avec laquelle on y   térisque entre parenthèses renvoie en note à cette précision : « On
 avant 1850. Si l’on peut voir encore, dans les premières décennies   1770-1780 une claire séparation s’opérer entre les récits de voyage   vit. » (Martyn, 1788, p. 39-40)  met une heure 45 minutes depuis Morges. Le Lion d’or, excellente auberge »
 du siècle, des voyageurs ayant une pratique du voyage très éli-  et les futurs guides modernes. Libérés des contraintes de neutralité      Le reproche relatif à la ville en elle-même, qui est, contraire-  (Martyn 1788, p. 37). Étant hors texte, cette mention ne doit pas
 taire, culturellement marquée par l’époque classique et disposant   et d’exhaustivité, les premiers peuvent alors revendiquer subjectivi-  ment à son site, sévèrement jugée pendant longtemps, tient essen-  étonner par son énoncé laconique. Elle doit plutôt être lue comme
 du temps et de l’argent nécessaire pour faire un Grand Tour, on   té, partialité et sensibilité , tandis que les seconds peuvent se mettre   tiellement à sa topographie, toute de montées et de descentes, à son   un pas vers la forme moderne des guides et une adaptation aux
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 commence parallèlement à rencontrer les premiers vrais touristes.  à la recherche d’une complétude sans fioritures et la plus objective   urbanisme tortueux et à la qualité fréquemment critiquée de son   besoins nouveaux des voyageurs. Pourtant, les auberges intègrent
 Symptomatiquement, le mot « touriste » apparaît dans les diction-  possible. Des différences sensibles commencent alors à se marquer   architecture. Pourtant, la renommée de Lausanne est importante   timidement les pages des guides : la plupart du temps une seule
 naires à la même époque (en 1800 en anglais, en 1803 en français),  entre ces deux genres, dans la langue, le choix de ce qui est dit, ainsi   et il n’est pas étonnant que des structures d’accueil nombreuses   est mentionnée par ville, et encore, pas dans toutes. Cela dépen-
 même s’il ne semble toutefois se répandre en France qu’après la   que dans les manières de présenter l’espace et les déplacements.   et variées se soient mises en place rapidement, faisant se côtoyer   dait en fait complètement du voyageur-auteur, qui recommandait
 publication des Mémoires d’un touriste de Stendhal en 1838. Du   S’écartant des anciens récits ou récits-guides  qui ne décrivaient   auberges, pension chez des privés et hospitalité entre pairs. L’en-  en général l’auberge où il avait lui-même dormi, dans la ville où
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 voyageur aristocratique, on glisse donc vers un tourisme bour-  que le circuit effectué par l’auteur-voyageur parti de chez lui avant   semble de cette offre n’est pourtant jamais évoqué au xviii  siècle   il avait fait étape. Ne s’est-il pas arrêté pour la nuit à Cossonay ?
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 geois. Selon les historiens et les sociologues qui se sont intéressés   d’y revenir plusieurs mois ou années plus tard, les nouveaux guides   dans la littérature de voyage (fig. 5).   N’a-t-il pas passé à Vevey ? Aucune auberge ne se trouvera alors men-
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 à ce sujet , on ne naît pas touriste, on le devient. L’état de tou-  vont commencer à chercher d’autres manières de mettre en scène      En 1787, le Manuel pour les voyages par la Suisse  de Henri    tionnée. Le signalement de plusieurs auberges (possible, mais seu-
 riste est en effet le résultat d’un apprentissage social influencé par   l’espace du voyage, l’ouvrant à plus de possibles et à plus de régions.   Heidegger illustre encore cette absence. S’il évoque la qualité de   lement dans les plus grandes villes) ainsi qu’une brève appréciation
 < Fig. 3         L. Sabatier, Ouchy et Lausanne (Lac de Genève).
 Ouchi et Lausanne.   Lithographie, vers 1865.
 Lithographie, vers 1825-1835.


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