Page 122 - Livre Beau-Rivage Palace
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Fig. 5
Si cette petite cartographie hôtelière n’est pas la reproduction L’accord rapide entre la Turquie et la Grèce, l’apparition soudaine
ni la réduction topographique du monde, les nations concernées et la disparition tout aussi soudaine du « bloc balkanique », selon l’ex-
étaient venues à Lausanne pour effacer définitivement l’Empire pression du correspondant du grand quotidien français Le Temps
ottoman de la carte et redessiner les frontières nouvelles du Proche- exprimaient le déplacement des enjeux et des rapports de force
Orient : il en est ressorti, ce qui n’était pas exactement prévu, la pendant la conférence.
naissance d’une nation nouvelle et sa reconnaissance sur la scène
internationale : la Turquie. Le chroniqueur mondain de L’illustration TEMPO HÔTELIER ET TEMPO DIPLOMATIQUE
n’était-il pas dépourvu d’un solide sens politique lorsqu’il redou- Ces enjeux politiques et diplomatiques échappaient évidem-
tait, en décembre 1922, que les Alliés ne fassent trop de « conces- ment aux responsables des hôtels qui, sans être nécessairement neu-
sions » dans une conférence qui « devait faire la paix en Orient [et] tres, n’étaient tout simplement pas concernés par des problèmes
fut engagée dans des conditions déplorables […] qui n’ont pas cessé de semblables, même s’ils en subissaient certains des effets. Face aux
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peser sur elle . » Ces conditions déplorables étaient politiques car désaccords entre alliés, la délégation turque demeura résolument
la conférence, nous l’avons déjà évoqué précédemment, avait été intransigeante et les discussions furent difficiles, houleuses, dès le
convoquée dans l’urgence alors que la situation sur le terrain avait début et pendant les huit mois des pourparlers qui aboutirent fi-
évolué nettement en faveur des nationalistes turcs. Les alliés étaient nalement aux accords de paix de juillet 1923. Temps de l’hôtellerie
divisés. Les Anglais étaient confrontés à une crise politique inté- et temps diplomatique ne se superposent pas, mais se prolongent ;
rieure qui avait abouti à l’organisation d’élections anticipées en ils demeurent chacun dans leur dimension et leurs exigences spé-
octobre 1923 (le 19 octobre, le cabinet Lloyd-George donnait sa cifiques. Le temps scandé par la répétition monotone, stricte, par-
démission et les élections du 17 novembre étaient emportées par le faitement codifiée des activités quotidiennes, à peine agité par les
Parti conservateur), contraignant à un report de la conférence qui arrivées ou les départs des clients de passage, moins troublé encore
s’ouvrit finalement le 20 novembre. En Italie, Mussolini venait par le rythme indolent des résidents de plus longue durée, imprime
de s’emparer du pouvoir et Lausanne lui donnait une premiè- à l’hôtel son pouls particulier conçu précisément pour digérer tou-
re occasion d’intervention sur la scène internationale, occasion tes les situations imprévues, tous les impondérables, en s’y adaptant
qu’il exploita spectaculairement en contraignant Lord Curzon et mais en ne s’y soumettant jamais. La conférence marque l’intrusion
Poincaré à le rejoindre à Territet où il avait été accueilli par une d’un autre temps qui est d’abord celui de la rupture dans la spirale
fanfare italienne, alors que tous devaient se rencontrer à la gare infernale et dangereuse des rapports de force internationaux qui
de Lausanne (fig. 6). menacent toujours de dégénérer en conflits sanglants. Elle marque
Ainsi, alors que les alliés projetaient, en encourageant une paix surtout une suspension du temps du conflit et l’instauration d’un
entre Grecs et Turcs, de se répartir le contrôle sur les détroits du autre rythme susceptible de ralentir puis d’infléchir le cours fatal et
Bosphore et des Dardanelles et de se redistribuer les avantages écono- trop prévisible des événements, de raccommoder le tissu de l’his-
miques qu’il espéraient faire fructifier après le traité de Sèvres, alors toire qui ne cesse de se déchirer.
qu’ils pensaient négocier avec l’une des puissances vaincue et déchue La Conférence de Lausanne s’inscrit dans une suite tempo-
de la Première Guerre mondiale, ils se trouvèrent en fait confrontés relle que l’on peut faire remonter à la Première Guerre mondiale,
à une délégation nationaliste turque ambitieuse et revendicatrice rythmée par l’alternance des négociations, des crises, des conflits
qui était venue en force à Lausanne pour imposer une nouvelle entre les belligérants. L’évolution du rapport de force en 1922 im-
Turquie à l’intérieur de ses frontières et sur la scène internationale. prime un autre tempo. Temps fébrile et contraint par l’urgence de
Fig. 4 Batterie de voitures officielles devant le Beau-Rivage Palace
Caricature montrant la géopolitique hôtelière de Lausanne durant la conférence. lors de la Conférence de Lausanne. Photographie, 1923.
Lithographie, vers 1922-1923.
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