Page 130 - Livre Beau-Rivage Palace
P. 130
ART DE LA TABLE ET RESTAURATION En effet, l’apparition du restaurant est en partie une réponse à plu- Rappelons qu’il s’agit d’une évolution fondamentale puisque dé-
sieurs besoins.
sormais, les mets sont apportés sur la table dans l’ordre selon lequel
DANS L’HÔTELLERIE DE LUXE Le premier d’entre eux, et sans doute le plus important, est ils doivent être consommés. Cette nouvelle forme de service est
DU XIX AU XX SIÈCLE celui des voyageurs qui souhaitent pouvoir trouver des lieux de particulièrement bien adaptée aux restaurants.
E
E
En quoi ces événements qui se déroulent près d’un demi-
restauration qui soient fréquentables, c’est-à-dire qui n’offrent pas
une nourriture de trop mauvaise qualité ni n’imposent une pro- siècle avant la naissance de l’hôtellerie de luxe ont-ils un rapport
miscuité qui pose problème aussi bien aux étrangers qu’aux fem- avec elle ? La réponse à cette question est simple, l’hôtellerie de
mes. Ils sont en effet obligés de s’asseoir à côté d’inconnus, et pour luxe et sa restauration vont réaliser une sorte de synthèse de ces
les femmes à côté d’hommes de toutes origines, ce qui leur interdit transformations en les adoptant. La restauration dans les palaces est
d’entrer dans ces endroits. ainsi une forme de quintessence des nouvelles manières de table,
Un second besoin provient des changements importants in- de la cuisine et du service. La principale raison de cet état de fait
tervenus dans la société à la suite des transformations politiques et provient de ce que les palaces sont construits dans le but d’offrir un
Marc de FERRIÈRE LE VAYER
e
sociales de la fin du xviii siècle. Ils créent en réalité une clientèle hébergement de qualité à des voyageurs, souvent internationaux,
La table est un des éléments constitutifs de l’hôtellerie de LES DÉBUTS DE LA RESTAURATION prête à apprécier une cuisine d’élite sans avoir les moyens de la faire venant parfois de très loin, par l’intermédiaire des compagnies de
luxe dès sa naissance. En effet, à partir des années 1840-1850, le DANS L’HÔTELLERIE DE LUXE réaliser à domicile. C’est un des éléments d’explication de la réussite navigation . Créées dans les années 1840-1850, ces dernières sont
8
voyageur qui fréquente un hôtel de luxe, puis plus tard un palace, L’hôtellerie de luxe n’existe pas de toute éternité, elle naît au des grands chefs qui s’installent à Paris derrière Beauvilliers . d’ailleurs contemporaines des premiers palaces. Elles seront suivies
5
que ce soit pour son plaisir personnel ou pour des raisons profes- cours de la première moitié du xix siècle, et se développe durant Parmi ces grands chefs dont les noms s’imposent progressive- par les compagnies de même type pour les voyages en train, du
e
sionnelles, ne souhaite pas simplement y loger ou y dormir, mais la seconde moitié de ce même siècle . Et si l’hôtellerie de luxe ment, outre Beauvilliers, il faut citer les frères Provenceaux, Véfour, type Pullman, Wagons-lits, etc. Compagnies de navigation, compa-
1
aussi y vivre, donc y manger, s’y restaurer. n’allait pas de soi, il en va de même pour la restauration de luxe qui mais aussi des traiteurs, tel Bailly chez qui débute celui qui va ré- gnies ferroviaires, grands hôtels accompagnent le développement,
En avançant dans le xix siècle, alors que le secteur se dé- l’accompagnait. volutionner la cuisine, Antonin Carême . En effet, avec Carême et lié à la révolution industrielle, des voyages d’affaires et d’agrément.
e
6
veloppe et surtout devient de plus en plus concurrentiel, la table, Les premiers grands palaces européens naissent à une pério- après lui, les nouveaux chefs introduisent ce qu’ils appellent une C’est l’époque de « l’invention du littoral », de l’essor des stations
tant par la qualité du service que par l’excellence de la restau- de charnière et vont en quelque sorte symboliser de nombreuses nouvelle cuisine. Sa principale caractéristique consiste à rejeter les thermales, de l’organisation des expositions universelles .
9
ration, devient un des éléments de choix du client, on dirait transformations simultanées des modes de vie. Ils sont de ce point pratiques de la cuisine du Grand Siècle, en particulier les épices en Des millions de voyageurs se déplacent ainsi à travers le
de nos jours, un produit d’appel. Au lendemain de la Première de vue très emblématiques de la mise en place d’un art de vivre abondance et les mariages complexes de mets. Ceci correspond monde, souvent pour des séjours de longue durée. L’exposition
Guerre mondiale, puis davantage encore durant les années cin- qu’on qualifie souvent « à la française », mais qui est en réalité très « à à la naissance de la gastronomie dont les deux plus importants organisée en 1851 à Londres accueillit ainsi plus de 6 millions
2
quante et soixante, la situation évolue, l’hôtellerie de luxe se l’européenne ». Ces changements sont de divers ordres. Les palaces, propagateurs sont Grimod de la Reynière, tant dans son Manuel de visiteurs en 6 mois, celle de Paris en 1867, plus de 11 mil-
trouve un peu, en ce qui concerne les arts de la table et la res- par leur restauration, vont en quelque sorte en réaliser la synthèse des Amphitryons que par ses dîners de Gastronomes au Rocher de lions. On comprend la nécessité d’ouvrir de gigantesques palaces,
tauration, en dehors des grandes mutations de la gastronomie. Il la plus parfaite et imposer une certaine vision de ce mode de vie, Cancale, et Brillat-Savarin et sa Physiologie du goût . véritables vaisseaux de pierre au cœur des villes. C’est le cas par
7
faut attendre les années quatre-vingt, pour que les guides cou- pour plusieurs générations. Cette nouvelle cuisine impose ce qu’on appellera plus tard la exemple avec l’Hôtel du Louvre à Paris en 1855 ou le Grand-
10
ronnent les restaurants des palaces et hissent ainsi leurs tables au La naissance du restaurant, encore en partie sujet à polémi- cuisine bourgeoise qui va progressivement être pratiquée, tant dans Hôtel, toujours à Paris en 1867 .
niveau du reste des services offerts. que parmi les historiens, remonte à la fin de l’Ancien Régime et toutes les bonnes maisons que dans tous les lieux de restauration. Si, lorsqu’on pense palace, on pense chambre, réception, servi-
On le voit donc, si la table et les arts de la table sont un élé- à la période de la Révolution française . Elle est unanimement Les manières de table connaissent également à la même épo- ces, ce n’est pas exclusif. D’emblée les palaces se dotent de services
3
ment constitutif important de la restauration, il y a malgré tout localisée à Paris qui sert de modèle à l’Europe, voire au monde que une transformation majeure. Celle-ci est liée à la nouvelle de restauration. Et c’est là que nous rejoignons les transformations
matière à en étudier les transformations et les évolutions. Elles dans cette affaire. Bien que se déroulant sur plus d’un demi-siècle cuisine. En effet, un de ses promoteurs les plus actifs n’est autre issues de la Révolution. En effet, ces établissements d’un type nou-
sont autant représentatives des changements de la société que de la avant l’expansion de l’hôtellerie de luxe, cette révolution dans les qu’Antonin Carême qui découvrit ce qu’on appelle « le service à la veau doivent tout inventer, comme toujours les pionniers. C’est
transformation des grands hôtels. manières de prendre les repas à l’extérieur la touche directement . russe » lorsqu’il servit le Tsar à Paris pour le compte de Talleyrand. particulièrement vrai de la restauration. Deux options principales
4
130 131