Page 232 - Livre Beau-Rivage Palace
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Fig. 1 Fig. 2 Fig. 3 Fig. 4
L’HÔTEL-PALACE AU XX SIÈCLE passant de 40 à 80, la taille des hôtels augmente considérablement. architectural d’une richesse jamais encore égalée, comblant tous les
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vœux d’un hôtelier. Le Lucernois Emil Vogt, architecte très engagé
Leurs façades à division tripartite sont de plus en plus remplacées
ENTRE ABANDON ET REDÉCOUVERTE par des répartitions en cinq corps symétriques et certains plans pré- dans la construction hôtelière, résume cette situation dans une lettre
sentent une ou deux grandes cours intérieures sur le modèle des de 1897 à un ami : « L’entière satisfaction de ma clientèle est la chose la
grands hôtels des villes européennes. Lorsque l’Hôtel Beau-Rivage plus importante dans mon travail . »
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à Ouchy, lauréat de l’un des rares concours d’architecture dans le Les hôtels-palaces de la fin du xix siècle fonctionnent en
domaine de l’hôtellerie suisse , ouvre ses portes, il est – en cette monde clos. Si, au début de ce même siècles les hôtels étaient en-
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période d’importante croissance – le plus grand édifice hôtelier de core de simples maisons qui n’offraient à leurs hôtes, à part une
Suisse romande et le premier à présenter une façade en cinq corps petite salle à manger, que peu de salles de séjour, la situation change
symétriques. radicalement à la Belle Époque. Autour de 1900, l’hôtel-palace dis-
pose de tout ce qui peut agrémenter une villégiature : des cham-
LE DERNIER « BOOM HÔTELIER » AVANT 1914 bres de luxe, des salles à manger, des salles de fête décorées de stucs
Roland FLÜCKIGER-SEILER
Suite au recul économique qui frappe le milieu touristique et de célèbres peintures (fig. 7). De nombreuses infrastructures
LES PREMIERS CENTRES TOURISTIQUES L’hôtel des années 1830 se reconnaît, en général, à une façade dans les années 1870, il faudra attendre la fin des années 1880 pour proposent des divertissements et dispensent tous les soins du corps.
L’histoire de l’hôtellerie moderne du xix siècle débute dans maçonnée sur deux ou trois étages, divisée en trois corps symé- que l’amélioration de la conjoncture suisse permette l’amorce On aménage, dans les hôtels construits sur les splendides sites qui
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les années 1830, lorsque les villes situées au bord des grands lacs triques et enrichie de formes architecturales empruntées au néo- d’une nouvelle phase de construction intensive qui se poursuivra dominent les lacs, de vastes espaces extérieurs, des parcs de loisirs
suisses deviennent les premiers centres de gravitation touristique. classicisme. Avec ces spécificités, la construction hôtelière s’affirme jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Entre 1880 et agrémentés de promenades menant à travers des forêts et différents
Le début de ce développement se situe à Genève avec l’ouverture, pour la première fois dans le répertoire architectural comme une 1914, le nombre d’hôtels en Suisse passe de 1000 à 3600 environ et jardins . Le « balcon » de Caux, un chemin aménagé en terrasse sur
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le 1 mai 1834, de l’Hôtel des Bergues (fig. 1), le premier Grand entité originale. le nombre de lits de 57 000 à 170 000. En bien des lieux, seules les 800 mètres, est l’un des exemples les plus grandioses que compte
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Hôtel de Suisse qui suit des principes déjà définis en 1765 par années soixante afficheront un nombre de nuitées supérieur à celui l’hôtellerie suisse. Construit en même temps que le Palace avec
l’Hôtel d’Angleterre à Sécheron, aux portes de la vieille ville de LE « BOOM HÔTELIER » DES ANNÉES 1860 de cette époque. Pourtant l’hôtellerie suisse d’alors présentait une ses 300 chambres pourvues du dernier confort, il permet à Ami
Genève : une situation panoramique avec, si possible, une vue do- Entre 1860 et le milieu des années 1870, la Suisse connaît un capacité d’accueil trop importante, des réserves financières trop fai- Chessex, roi de cet empire hôtelier, de développer des installations
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minante sur le lac ou les montagnes avoisinantes, un aménagement premier grand « boom hôtelier ». Pendant une quinzaine d’années, le bles et des hypothèques étrangères trop élevées . sportives n’ayant pas leur pareil en Suisse : des chemins pédestres et
intérieur confortable répondant aux exigences de la clientèle no- nombre des hôtels et des pensions dans les régions touristiques a Pendant la Belle Époque, et jusqu’au déclenchement de la des courts de tennis en été, des patinoires, des pistes de luge et de
ble venue en majorité d’Angleterre, finalement une infrastructure plus que doublé en moyenne. À Montreux, par exemple, le nombre Grande Guerre, l’architecture hôtelière se caractérise par une diver- bobsleigh en hiver (voir fig. 6).
offrant une grande variété de loisirs et de divertissements à l’exté- de lits passe de 800 à plus de 1600 . Simultanément, beaucoup de sité de styles historiques citant volontiers la richesse de formes des
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rieur de l’hôtel . Le langage architectural classique de l’Hôtel des nouveaux sites aménagés au bord des grands lacs viennent agran- architectures baroque et Renaissance. Les toitures à la Mansart font L’OPPOSITION AUX CONSTRUCTIONS HÔTELIÈRES
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Bergues servira de modèle à nombre de constructions hôtelières dir l’ensemble des lieux touristiques et l’on découvre des endroits partie intégrante de la construction hôtelière et celles à coupole Dès ses origines, l’industrie touristique est confrontée à des
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dans les années à venir . À la fin des années 1830, plusieurs édifices superbes surplombant l’eau à l’exemple de Glion ou du fameux sont fort appréciées (fig. 5). Le toit en pente douce, une forme uti- vagues de critiques. En bien des lieux, et dès le début du xix siècle,
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de grande capacité se construisent le long du Haut-Léman. En Bürgenstock près du lac des Quatre-Cantons (fig. 3). En Valais, la lisée pour le Beau-Rivage à Ouchy en 1861, est en revanche défi- l’architecture destinée aux étrangers est considérée avec beaucoup
1839, l’Hôtel Gibbon ouvre ses portes à Lausanne, l’Hôtel Byron concentration de sommets de plus de quatre mille mètres engen- nitivement dépassé. Après quelques essais timides, le style « château » de scepticisme. En 1818, l’écrivain de Winterthour Ulrich Hegner
situé à l’est du Château de Chillon peut accueillir ses premiers dre le développement d’une véritable hôtellerie de haute monta- s’impose définitivement avec l’Hôtel Gütsch à Lucerne. Le point critique les « excroissances architecturales » d’Interlaken, ce lieu autre-
hôtes deux ans plus tard (fig. 2) et l’Hôtel des Trois Couronnes à gne installée entre 1500 et 2500 mètres d’altitude qui servaient, à culminant de ce style est atteint en 1902 avec le Palace de Caux fois « calme et rural, séjour de la paix et de la nature sublime » qui, dé-
Vevey est inauguré en 1842 . L’architecture de ces grands édifices l’origine, de « camps de base » pour l’ascension des cimes (fig. 4). Les d’Eugène Jost, l’un des plus grands architectes actifs dans la construc- sormais défiguré, ressemble à une « succursale chatoyante pour étrangers
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hôteliers des années 1830 se différencie nettement de celle des an- hôtels de cette période témoignent de la forte croissance de l’in- tion d’infrastructures touristiques de la Belle Époque en Suisse riches » . En 1857, à l’occasion de sa deuxième visite à Lucerne,
ciennes constructions qui s’inspirait encore du style local et rural. dustrie hôtelière : avec un nombre moyen de lits par établissement (fig. 6) . Le style des façades de cette période déploie un répertoire Léon Tolstoï se montre agacé par le nouveau quai Schweizerhof
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Genève, Hôtel des Bergues. Villeneuve, Hôtel Byron. Bürgenstock. Fiesch, Hôtel Jungfrau au pied de l’Eggishorn.
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