Page 235 - Livre Beau-Rivage Palace
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Fig. 5  Fig. 6   Fig. 7                                                  Fig. 8

 construit à l’emplacement de l’ancien pont en bois : « Hier soir je   prégnante dans l’architecture et entre en collision avec le cérémo-  affichent tantôt un aspect sentimentalo-romantique, tantôt un masque qui   qu’il nomme respectivement l’architecture « d’avant et après la chute »
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 suis arrivé à Lucerne et je suis descendu au Schweizerhof, le meilleur hôtel   niel de cour étranger propre à la culture des grands hôtels . En   sent la pompe et l’orgueil » .  (fig. 14). L’architecture sobre et classicisante du début du xix siècle,
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 de la place […]. En raison de la grande affluence de touristes anglais, de   1905, la Ligue pour la sauvegarde du patrimoine (le Heimatschutz)      Dans les rares parutions consacrées à l’industrie hôtelière   défendue ou du moins acceptée par l’auteur, est distinguée des
 leurs besoins, de leur goût et de leur argent, le vieux pont est maintenant   s’affirme comme une importante plateforme de résistance. À ses   des années vingt, l’histoire de l’architecture des hôtels gagne bien   édifices historicisants de la deuxième moitié du siècle, quant à eux
 déposé et à sa place on a aménagé un quai tiré au cordeau . » (fig. 8)   débuts, elle critique avant tout la défiguration de panoramas entiers   une certaine place, mais la période après 1850 n’y est pas prise   catégoriquement rejetés. Les grands hôtels du tournant du siècle
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    Vers la fin du  xix  siècle, Alphonse Daudet se fait connaî-  par la construction de chemins de fer de montagne et de grands   en considération parce qu’elle n’est plus au centre des intérêts du   érigés en pleine nature sont déclassés au rang de « boucs émissaires
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 tre comme le critique le plus célèbre du développement tou-  complexes hôteliers ; elle attaque, d’autre part, le manque de liens   monde de l’architecture d’alors . En 1929, Werner Amstutz publie   de l’enlaidissement paysager ». Sa sympathie va aux tentatives d’adap-
 ristique des régions alpines, notamment des Alpes suisses. Dans   de cette architecture avec le paysage et les traditions architecturales   son manuel Neue Wege im Hotelbau, un titre avec lequel il entend   tation au style régional dans le sens des efforts du Heimatschutz.
 plusieurs œuvres, l’écrivain français caricature et stigmatise les   locales. Active à travers tout le pays, l’organisation publie dans la   rejeter toute forme d’architecture historicisante . Cette même an-  Il répétera ce jugement dans son Schweizerische Stilkunde de 1944,
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 changements affectant les villages et les paysages alpins suite à   première édition de sa nouvelle revue une paire d’images compa-  née paraissent dans la presse spécialisée les premiers exemples d’as-  ainsi que dans la brochure commémorative de la Société suisse des
 l’ascension de la Suisse au premier rang des pays de villégiature.  rant une église médiévale à un nouvel hôtel. La légende précise :   sainissements radicaux de vieux « bahuts hôteliers » selon les critères   hôteliers en 1957 .
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 Dans sa très méchante satire Tartarin sur les Alpes, datée des an- « Un bel édifice ancien et une vilaine construction moderne sur les bords   des représentants du Neues Bauen qui donnaient alors le ton. La      C’est sur le jugement de Peter Meyer, alors estimé par l’ensem-
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 nées 1880, il pourfend la commercialisation des paysages suisses,   du lac Léman . » D’emblée, le jeune  Heimatschutz s’approprie le   Schweizerische Bauzeitung qualifie d’exemplaire l’assainissement de   ble des spécialistes, que se fonde aussi la qualification des édifices hô-
 caractérisant ainsi la tension entre tourisme et paysage à la Belle   combat contre les « hideux » édifices hôteliers, ces derniers faisant   l’Hôtel Reber à Locarno par l’architecte Armin Meili en 1928, qui   teliers de l’étude menée par l’architecte et planificateur Armin Meili.
 Époque. Au début du cinquième chapitre, Bompard, le cynique   systématiquement figure de repoussoir dans des couples d’images   supprime le comble à la Mansart, exhausse le bâtiment d’un étage   Réalisé sur mandat fédéral et publié en 1945 sous le titre Assainis-
 compagnon de Tartarin, tient à son crédule ami un discours re-  opposant le « bien » au « mal » (fig. 10). Simultanément, l’association   et le couvre d’une toiture-terrasse(fig. 12) .  sement technique d’hôtels et de stations touristiques, ce rapport d’expert

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 latif aux effets de l’infrastructure touristique sur le panorama des   s’engage activement dans l’élaboration de projets de rénovation      À l’époque, tous les architectes progressistes se battaient pour   propose, dans la perspective redoutée du chômage de l’après-guerre,
 Alpes : « La Suisse, à l’heure qu’il est, vé! monsieur Tartarin, n’est plus   et de construction conformes à ses attentes. En 1906, par exem-  une architecture nouvelle, moderne et « honnête ». Ils considéraient   l’assainissement de tous les importants sanatoriums suisses ainsi que
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 qu’un vaste Kursaal, ouvert de juin en septembre, un casino panorami-  ple, la section bernoise mandate l’architecte Karl Indermühle pour   l’hôtel de la Belle Époque comme le symbole d’un ordre ancien   de leurs édifices hôteliers . L’on y trouve des propositions visant
 que, où l’on vient se distraire des quatre parties du monde et qu’exploite   qu’il développe un contre-projet à l’édification d’un sanatorium à   et dépassé. En 1920, alors qu’il est âgé de 81 ans, Horace Édouard    à abaisser flèches et coupoles, et même à démolir des installations
 une compagnie richissime à centaines de millions de milliasses, qui a son   Lauenen dans l’Oberland bernois. Le projet gagnant du concours   Davinet, l’un des architectes d’hôtel les plus doués et les plus manda-  entières : l’Hôtel Palace à Lugano, le Kursaal à Lucerne ou le Grand
 siège à Genève et à Londres. Il en fallait de l’argent, figurez-vous bien,  national, fortement désapprouvé par les cercles du Heimatschutz,   tés de la fin du  xix  siècle qui signe notamment les hôtels Giessbach   Hôtel de Saint-Moritz figurent sur la « liste noire ». Pour les édifices
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 pour affermer, peigner et pomponner tout ce territoire, lacs, forêts, monta-  prévoyait un corps d’édifice massif avec une composition de façade   (fig. 13), Seelisberg, Spiezerhof ou Rigi-Kulm, demande déjà des   destinés à être transformés, les experts proposent la suppression de
 gnes et cascades, entretenir un peuple d’employés, de comparses, et sur les   symétrique. Le contre-projet, en revanche, articule le volume en   excuses dans ses Mémoires : « Par suite des Expositions internationales   tous les éléments architecturaux porteurs d’ambiance, les tours, les
 plus hautes cimes installer des hôtels mirobolants, avec gaz, télégraphes,   plusieurs corps d’édifices, bas et irréguliers, agencés de manière   et de l’établissement de nombreux Kurorten, on était alors loin de pen-  créneaux, les coupoles, ou encore les intérieurs historiques. « Épu-
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 téléphones ! […] Si c’est vrai !… Mais vous n’avez rien vu… Avancez   asymétrique (fig. 11) .  ser au Heimatschutz, l’on cherchait, au contraire, à implanter les styles   ration des ornements inutiles et laids de la fin du siècle » tel est le leitmo-
 un peu dans le pays, vous ne trouverez pas un coin qui ne soit truqué,     Le combat intensif engagé contre les grands édifices hôteliers   les plus bizarres, afin de détruire le cachet trop casernel de ces immenses   tiv de ce rapport publié sous forme de livre en 1945. À propos de
 machiné comme les dessous de l’Opéra; des cascades éclairées à giorno,  au début du siècle est couronné d’un tel succès que l’on considère   Caravansérails . »  l’Hôtel Beau-Rivage Palace à Lausanne-Ouchy, le rapport mention-
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 des tourniquets à l’entrée des glaciers, et, pour les ascensions, des tas de   bientôt, et plus uniquement dans les cercles du Heimatschutz, l’ar-  ne : « Façade Palace surchargée . » (fig. 23, p. 241)
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 chemins de fer hydrauliques ou funiculaires . » (voir fig. 9, p. 241)   chitecture hôtelière de la Belle Époque – et avec elle les nombreux   LE SOUTIEN ÉTATIQUE DE LA CURE RADICALE     Dans les années d’après-guerre, le camp officiel se bat
    Peu avant la Première Guerre mondiale, la puissante croissance   édifices historicisants du xix  siècle – avec dédain et incompréhen-     Pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’architecte et histo-  contre « les vieux bahuts hôteliers » sur la même base et fort d’un
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 du secteur hôtelier éveille en maints lieux une première opposition   sion. Vers la fin de la Première Guerre mondiale, Samuel Guyer   rien de l’art Peter Meyer (1894-1984) pose un important jalon dans   important soutien financier. Et l’on s’attelle parfois à la tâche
 organisée contre l’industrie de l’étranger. L’on commence à repro-  écrit : « Depuis des années, une guerre est déclarée contre les bahuts hôte-  le combat contre les monumentales bâtisses hôtelières de la Belle   avec beaucoup de zèle. De nombreux assainissements d’hôtels
 cher ouvertement à la construction hôtelière de défigurer le pay-  liers qui défigurent nos plus belles régions. » À l’inverse du Heimatschutz   Époque . Dans la revue Werk, il publie le premier panorama d’his-  et plusieurs démolitions effectués dans le troisième quart du xx
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 sage, de détruire une nature jusqu’alors indemne. À cela s’ajoute la   dont la critique est dirigée essentiellement contre ces « blocs mas-  toire de l’architecture consacré aux hôtels du xix  siècle et adop-  siècle s’enracinent dans l’étude de Meili. En 1948, dans la revue
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 conscience croissante d’une spécificité suisse qui apparaît de manière   sifs », Guyer trouve les grands édifices hôteliers hideux « parce qu’ils   te une position radicale en classant les édifices en deux périodes   Werk, l’architecte Theo Schmid peut poser un regard rétrospectif
 Engelberg, Hôtel Terrasse.  Caux, Palace.  Vulpera, salle de l’Hôtel Waldhaus.  Hôtel Schweizerhof – Lucerne (Ouvert toute l’année).
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