Page 257 - Livre Beau-Rivage Palace
P. 257
Fig. 1 Fig. 2
LA COUPOLE DE LA SALLE plus souvent, des dessins trouvés dans les recueils de modèles qui rapidement, les procès-verbaux du conseil d’administration ne
fleurissaient à Vienne, Munich, Paris et New York à la fin du xix
mentionnent pas de retard au printemps 1908 comme pour les
e
À MANGER: siècle. Toutefois, lors de projets importants, on demandait à un autres corps de métier, ce qui constitua une grande prouesse pour
UN VITRAIL D’APPARAT artiste, généralement un peintre, de créer des cartons originaux un vitrail de cette taille et avec autant de surface à peindre.
réalisés en collaboration par le peintre-verrier, chargé de poser la
Né le 17 juin 1866 à Ludwisbourg en Allemagne, Otto
peinture sur les verres qui étaient ensuite cuits au four, et le ver- Haberer fit ses études entre 1884 et 1891 aux École des arts décora-
rier qui les insérait dans les plombs. En ville de Lausanne, à no- tifs de Stuttgart et de Munich . Il s’installa à Zurich en 1891 comme
7
tre connaissance, seules deux œuvres vitrées – monumentales de peintre et peintre décorateur, mais également comme restaurateur,
surcroît – furent signées par des peintres-cartonniers : la coupole puis à Berne en 1894, puis finalement dès 1903 à Gumlingen près
des Galeries du Commerce et celle du Beau-Rivage Palace. Exé- de Berne jusqu’en 1922. Il fut récompensé d’une médaille d’or à
cutée entre 1907 et 1908, celle-ci emprunte ses dessins au style l’Exposition nationale de Berne en 1914 pour les peintures de la
néo-baroque. Si le centre fut réalisé avec des verres cathédrales salle des fêtes, l’entrée et diverses sections de l’exposition. Grand
Fabienne HOFFMANN
3
clairs , ornés d’un décor de guirlandes et de fleurs stylisées pour spécialiste des fresques et des décors monumentaux, son activité et
e
Le développement du vitrail civil à la fin du xix siècle fut non et les hôtels se devaient d’égayer leur intérieur à l’aide de vitraux. laisser passer la lumière, la bordure du vitrail reçut un dessin plus celle de son atelier se déployèrent en Suisse allemande et romande,
seulement un phénomène de mode, mais surtout la conséquence Ces baies colorées ornaient généralement les cages d’escalier ou élaboré, sous la forme de quatre femmes, assises chacune dans une aux Grisons, surtout dans des bâtiments publics comme les gares,
de divers développements techniques. À Lausanne, l’introduction les portes d’entrée dans les salons. À l’Hôtel Jura-Simplon (av. de conque, qui ne sont pas sans évoquer les muses d’Alfons Mucha . les postes, les églises, les théâtres, un sanatorium, les collèges, les
4
de l’électricité dans les monuments publics et privés commença la Gare 25-27, aujourd’hui démoli), un vitrail monumental, réalisé Elles sont curieusement positionnées, ayant chacune le buste de cinémas, les cafés, etc. Il se fit surtout un nom comme « peintre des
dès 1882, puis se développa entre 1898 et 1902 avec la création de par l’atelier d’Eduard Diekmann entre 1910 et 1911, faisait office face et la partie inférieure du corps de trois quarts. Leur identi- hôtels ». En 1904, au Montreux-Palace, il réalisa les peintures de la
l’usine de Pierre de Plan . L’arrivée de l’éclairage artificiel modifia de cloison entre la réception et la salle à manger. La grande super- fication n’est pas aisée, car leurs attributs ne sont pas explicites : salle des fêtes et du Restaurant français sous la direction de l’archi-
1
considérablement la perception du rapport entre l’intérieur et l’ex- ficie et le système d’aération qu’exigeait une salle à manger dans fleurs, instruments de musique… il s’agit peut-être des quatre tecte Eugène Jost. Il orna également les murs du chœur de l’église
térieur du bâti ; puisqu’il n’était désormais plus aussi nécessaire de un hôtel incitaient fréquemment les architectes à la construire dans saisons, de quatre muses ou alors d’allégories de la Nature en lien catholique de Vevey en 1897 et exécuta le décor (stucs et peinture)
laisser passer la lumière naturelle, on pouvait assombrir les pièces en une annexe d’un seul niveau, permettant par là même un éclairage avec celles qui décorent la salle . Pour dessiner les figures et leurs de la grande salle du Casino d’Yverdon en 1898 sous la direction
5
agrémentant leurs fenêtres de vitraux. zénithal dispensé par un dôme vitré sur lequel les maîtres verriers somptueux vêtements, le verrier n’a pas lésiné sur l’emploi de des architectes Louis Bezencenet et Alexandre Girardet.
Avec les progrès de la construction liée à l’emploi du béton, purent faire valoir un talent et un savoir-faire à la mesure des autres verres de très belle qualité et sur l’utilisation de toutes les techni-
on put également élargir les baies et les garnir de vitraux colorés ; arts appliqués convoqués dans cet espace de parade et d’apparat. Si, ques de peinture sur verre à disposition (grisailles, émaux, jaune EDUARD DIEKMANN ET E. RYCHLY
enchantements de la couleur qui jouait avec la lumière, les vitraux dans la région proche, de nombreux hôtels à Montreux et Territet d’argent, dégradé à l’acide). Si Otto Haberer fournit le carton de base, la peinture du vi-
2
devinrent vite indispensables dans les bâtiments dont les proprié- possédaient bien des coupoles ornées de vitraux de type décoratif, trail semble être l’œuvre d’E. Rychly, probablement un collabora-
taires voulaient tenir un certain rang et se mettre au goût du jour. il faut reconnaître que celle du Beau-Rivage Palace fit d’emblée OTTO HABERER teur de l’atelier Diekmann ; il apposa une signature discrète, près du
Dans les grandes capitales européennes, les vitraux Art nouveau figure d’exception par son dessin et la qualité de sa réalisation. En août 1907, le choix de l’artiste cartonnier, Otto Haberer, panier de fleurs placé à côté de l’une des figures féminines ornant
8
firent leur apparition vers 1880, conséquence de la création de pour réaliser le vitrail de la salle à manger semble aller de soi puisque le pourtour de la composition .
verres industriels et de toute la panoplie des verres dit américains. LE VITRAIL DE LA SALLE À MANGER c’est lui qui avait été retenu pour peindre les murs de cette même Né en 1852 et originaire de Hambourg, Eduard Diekmann
À Lausanne, si les ateliers de verriers n’apparurent qu’en 1900, ils (ACTUELLEMENT SALLE SANDOZ) salle et réaliser les peintures et les sculptures de la rotonde. On sait ouvrit un atelier de vitrail à Lausanne en 1900 après avoir travaillé
firent alors preuve d’une productivité remarquable et fournirent, S’il était plutôt rare que les mosaïstes, les stucateurs, les fer- que l’architecte Louis Bezencenet avait déjà collaboré avec lui, no- à Genève et gagné une médaille d’argent à l’Exposition internatio-
jusqu’en 1914, des milliers de mètres carrés de vitraux pour les ronniers d’art, les menuisiers ou les peintres en bâtiment appo- tamment au Casino d’Yverdon en 1898. Toutefois, les documents nale de Hambourg en 1889 déjà. Très vite, il obtint de nombreu-
lieux publics et pour garnir les fenêtres de très nombreux immeu- sent une signature à leurs travaux, l’atelier de verrier, en revanche, manquent pour connaître le choix du verrier et le programme ses commandes, tant publiques que privées, dans toute la Suisse
6
bles privés. Les galeries marchandes, les brasseries, les pensionnats signait volontiers ses vitraux, même s’il reprenait et adaptait, le iconographique commandé. La coupole semble avoir été exécutée romande (en particulier à Lausanne, sur la Riviera, au Locle et à
Muse ? Allégorie des quatre saisons ou de la Nature ? Pour réaliser ces figures féminines, leurs vêtements et le décor floral,
Une des figures féminines ornant le pourtour du vitrail. le verrier a utilisé des verres de grande qualité et eu recours à diverses techniques
de peinture sur verre (grisailles, émaux, jaune d’argent, dégradé à l’acide).
256 257