Page 267 - Livre Beau-Rivage Palace
P. 267

Fig. 4           Fig. 5

    L’auteur des modèles, à ce jour, n’est pas identifié, tant celui du      La large et riche bordure, selon une formule courante depuis   tapisseries effectuées en cette région fut considérable et la qualité   pudiquement vêtus : Lebrun (qui ne vit sans doute pas les tissages
 e
 premier plan que celui du fond, qui n’est sans doute pas le même.  le milieu du  xvi  siècle, est morcelée par des éléments architec-  variable car vingt ateliers au moins furent concernés (et jusqu’avant   d’Aubusson) aurait été surpris par un tel changement de ton. Mais
                          e
    Cette tenture a été tissée à plusieurs reprises comme l’a noté   turaux créant des niches où s’alternent des vases de fleurs animés   dans xviii  siècle) si l’on se fie aux noms donnés par les archives et   la clientèle fut avide de ces sujets devenus quelque peu forains.
 l’historienne des tapisseries d’Audenarde, Ingrid de Meûter . Une   de putti jouant et des personnages allégoriques. Ainsi aux quatre   aux pièces portant une marque . La tapisserie de Lausanne, par sa
                                           16
 11
 tapisserie identique figure au musée Plantin Moretus d’Anvers   angles et au milieu des côtés sont assises des femmes : trois présen-  bordure ayant un lien avec les batailles, pourrait dater de la fin du    1. Marthe CRICK-KUNTZIGER, « Deux tapisseries bruxelloises d’après les cartons de Louis van
                     e
 mais le paysage en est autre. Ceci est une habitude des ateliers   tent un texte (figure de la Foi ?), une tient une balance (figure de   xvii  siècle.        Schoor », Bulletin des Musées royaux d’Art et d’Histoire 26, 1954, p.98-106. Elle cite
                                                                             A. WAUTERS, Les tapisseries bruxelloises, Bruxelles : Culture et civilisation, 1878, p. 270.
 d’Audenarde qui possédaient des cartons différents pour les per-  la Justice), une autre, ailée, porte un oiseau (figure de l’Air ? ou de      Le sujet, dit aussi  Le Triomphe  d’Alexandre, est évoqué par    2. Koenraad BROSENS, A contextual study of Brussels tapestry, 1670-1770 : the dye works and

                                                                             tapestry workshop of Urbanus Leyniers (1674-1747), Brussel : Koninklijke vlaamse academie
 sonnages et les fonds de paysage, ce qui permettait de diversifier   l’Espérance ?), une autre encore deux globes, enfin une dernière   Quinte-Curce: « Beaucoup de Babyloniens s’étaient installés sur les murs,       van België voor wetenschappen en kunsten, 2004, p. 92.
                                                                           3. Voir par exemple Marie José DE MENDONCA, Inventario de tapeçarias existentès em museus e
 les compositions. Par ailleurs, les groupes de personnages figu-  montre le ciel. Des dieux ou personnages, disposés en atlantes,     avides de connaître leur nouveau roi ; mais la majorité sortit à sa rencontre,      4. Une pièce de la tenture conservée à Bruxelles porte sa marque. Voir Marthe CRICK-KUNTZIGER,
                                                                             Palacios nacionais, Lisbonne : Istituto portuguès do patrimonio cultural, 1983, p.45.
 rant sur une pièce pouvaient également varier. Ainsi la tapisse-  encadrent ces scénettes : Hercule (symbole de la Force), Vénus,    entre autres Bagophanès, gardien de la citadelle et de la fortune royale ; pour       art. cit. et Koenraad BROSENS, A contextual study of Brussels tapestry, 1670-1770 :
                                                                              the dye works and tapestry workshop of Urbanus Leyniers (1674-1747), op. cit., p. 92.
 rie d’une collection privée belge ne comporte que le groupe de   Cérès, Neptune, mais aussi une femme tenant un cœur enflammé   ne pas le céder en zèle à Mazée, il avait jonché le chemin entier de fleurs et       Mais d’autres ateliers ont pu utiliser les modèles.
 gauche, celui de droite étant remplacé par une superbe fontaine.   (symbole habituel de la Charité). Il est difficile de trouver un   de couronnes ; des deux côtés, étaient disposés des autels d’argent, où il avait    5. Edith STANDEN, European Post-Medieval Tapestries and Related Hangings in The Metropolitan

                                                                             Museum of Art, New York : MoMA, 1985, vol. I, p. 220-223.
 Enfin, certaines tentures des Conversations incluaient des pièces   lien avec la scène principale et une cohérence dans cette riche   accumulé, outre l’encens, des parfums variés… A sa suite venaient ses pré-   6. Marthe CRICK-KUNTZIGER, « Deux tapisseries bruxelloises d’après les cartons de Louis van
                                                                              Schoor », art. cit., p. 101 signale le Printemps de Munich publié par Göbel.
 d’un autre ensemble.  iconographie, peut-être s’agit-il d’un remploi de modèles utilisés   sents… Après eux marchaient les Chaldéens, et, parmi les Babyloniens, les    7. Ernst VON BIRK, « Inventar der im Besitz des Allerhöchsten Kaiserhauses befindlichen
                                                                              Niederländer Tapeten und Gobelins », Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen des
    La bordure imite, ici aussi, un cadre de tableau, pratique cou-  sans intention.   prêtres mais aussi les artistes avec la lyre de leur pays… Alexandre, entouré       Allerhöchsten Kaiserhauses 2, 1884, p. 167-220, p. 209, série CIV.
                                                                           8. Henrich GÖBEL, Tapestries of the Lowlands, New York : Hacker Art Books, 1974, ill. 309.
 rante dans tous les ateliers au xviii  siècle, alors que la tapisserie se       d’hommes en armes, ordonna à la foule des habitants de marcher après les    9. Edith STANDEN, European Post-Medieval Tapestries and Related Hangings in The Metropolitan
 e
                                                                             Museum of Art, op. cit., p. 222-223.
 rapproche de plus en plus de la peinture par la multiplication des   HISTOIRE D’ALEXANDRE LE GRAND /  derniers rangs de son infanterie : lui-même, sur un char, entra dans la ville,       10. Et non à Lille comme l’indiquent certaines publications.
 nuances dans les couleurs.   L’ENTRÉE D’ALEXANDRE DANS BABYLONE (fig. 5)  puis dans le palais . »     11. Ingrid DE MEÛTER, Tapisseries d’Audenarde du XVI e  au XVIII e  siècle, Tielt : Lannoo, 1999,
                               17

                                                                             p. 240-244.
    Les suites (séries de tentures de même dessin) diffèrent le plus      Alexandre, roi de Macédoine (- 356-323), conquit la Grèce,      On peut constater que l’artiste a largement enrichi le pro-    12. Voir une marque identique dans Guy DELMARCEL, Flemish Tapestry, 15th to 18th century,
                                                                              Tielt : Ed. Lannoo, 1999, p.369.
 souvent les unes des autres par leur bordure, ici aussi, comme dans   puis la Syrie, l’Égypte, la Perse et l’Inde. Très tôt on chercha à as-  pos. En effet tout grand homme devait avoir son triomphe à la      13. L’ordre de création des toiles et celui de l’inventaire de Fenaille ne correspondent pas
                                                                              à l’ordre chronologique des événements.
 toutes les manufactures.  similer Louis xiv à ce héros exceptionnel. Des toiles peintes pour   Romaine (ainsi Scipion, Titus…). Lebrun crée donc cette riche en-    14. Maurice FENAILLE, État général des tapisseries de la manufacture des Gobelins…, vol.
                                                                              1662-1699, Paris : Imprimerie nationale, 1903, p. 166-185.
 lui par Charles Lebrun, la première en 1661 (et l’Entrée d’Alexandre   trée où Alexandre couronné de lauriers monté sur un char tiré par     15. Il faut citer celles de Gérard Edelink, de Gérard Audran (entre 1672 et 1678), de Jean
                                                                              Audran, de Sébastien Leclerc et enfin de Bernard Picart. Voir Nicole de REYNIÈS, « Catalogue.
 CONCERT CHAMPÊTRE (fig. 4)  en 1665) firent rapidement l’objet de cartons (copies au format   deux éléphants est suivi de ses cavaliers portant enseignes et armes       Tenture de l’Histoire d’Alexandre (à Bellac) », dans : COLLECTIF, L’État et l’art (1800-1914).
    La scène représente, au premier plan, le repas en plein air et   monumental) pour être tissés à Paris dans les ateliers des Gobelins   (piques). Le cavalier central, Bagophanès, est suivi de divers musi-        L’Enrichissement des bâtiments civils et militaires en Limousin, Limoges : Culture et patrimoine
                                                                             en Limousin, 1999, p. 34-36.
 en musique d’un guerrier galamment accompagné. Sur une nappe   dès 1664-1665, tant en haute lisse qu’en basse lisse. Citons les sujets   ciens. On retrouve les fleurs au sol et les vases à encens. Les pré-    16. Nicole de REYNIÈS, « Faste intérieur. Tapisserie, broderie, garniture de meubles du château
                                                                              de Grignan », dans : COLLECTIF, Catalogue des textiles du château de Grignan,
 13
 posée au sol, près d’un ruisseau, sont disposés les aliments et les   dans l’ordre des événements  :  sents sont remplacés par un grand récipient de métal porté par des       Paris : Ed. Somogy, à paraître en 2008.
                                                                            17. QUINTE-CURCE, Histoires, Paris : Les Belles Lettres, 1992, p. 119-121.
 boissons. Trois musiciens jouent respectivement de la harpe, de la   - La Bataille du Granique ou Le Passage du Granique;  esclaves au torse nu, illustrant le butin fabuleux pris par Alexandre     18. Ce groupe évoque l’argenterie créée à la manufacture des Gobelins, visible sur une
                                                                             tapisserie de l’histoire du Roi.
 viole de gambe et du luth. Tout au fond se déroule un spectacle   - La Bataille d’Arbelles;   sur les Perses . Un groupe latéral de femmes et d’enfants (les hom-      19. Sans doute en raison d’une commande, la tapisserie de Lausanne a été élargie à droite
                            18
                                                                              et a reçu un personnage complémentaire étranger au modèle de Lebrun.
 équestre au pied d’une tribune où apparaît un roi… S’agit-il d’une   - Le Triomphe d’Alexandre (à Babylone);  mes ayant été fait prisonniers ou tués ?) figurant les Babyloniens
 scène figurant des loisirs princiers ou d’un épisode de roman non   - La Bataille de Porus (ou Porus blessé est amené devant Alexandre).  assiste à la scène.
 identifié ? Il est difficile de le préciser en l’absence d’autres pièces      Chaque atelier d’Aubusson a redessiné les compositions de
 de la tenture (une tapisserie, à l’origine, étant rarement isolée).     À Paris, les batailles, trop larges, furent divisées en trois scènes   Lebrun. Dimensions et finesse inférieures, effets de lumière non
    La lisière latérale droite porte la marque tissée de Martin   et les tentures comprirent ainsi onze ou douze pièces .   observés, cadre réduit en hauteur (disparition du jardin suspendu,
 14
 Reymbouts , atelier bien connu de Bruxelles. Le père et le fils      Des reproductions furent effectuées par différents graveurs ,   abaissement des murailles, réduction du char), second plan disparu,
 15
 12
 ayant porté le même prénom, on ne sait s’il s’agit du premier ou   estampes qui furent à l’origine de tissages de qualité à Bruxelles et   personnages resserrés, importance moindre du héros, quelques mu-
 e
                                19
 du second, ce dernier encore actif au début du xvii  siècle.  de moindre finesse dans divers ateliers d’Aubusson. Le nombre de   siciens supprimés , sol sans ses fleurs, char au décor modifié, esclaves
 Concert Champêtre.   Histoire d’Alexandre le Grand / L’Entrée d’Alexandre dans Babylone.
 Bruxelles, atelier de Martin Reymbouts, 2 e  moitié du XVI e  siècle.  Aubusson, fin du XVII e  siècle, d’après les gravures établies sur les modèles
 343 x 257 cm, 3 à 5 fils de chaîne au cm, laine et soie.  de Charles Lebrun. 379 x 570 cm, 3 à 5 fils de chaîne au cm. Bordure d’origine.
 266                                                                                                                         267
   262   263   264   265   266   267   268   269   270   271   272