Page 269 - Livre Beau-Rivage Palace
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Fig. 1           Fig. 2                                                  Fig. 3

 «UN BAR EN RAB»  circulaire – tantôt en anse de panier, tantôt en plein cintre dans les   Cérenville (1934)… En août et septembre 1938, il projette une
                  s’inspirait de celle du hall (fig. 3). Dans le bar, un meuble semi-  Stoffel (1926-1928), de Mon-Abri pour Nellie et Roger de
  GRANDEUR ET DÉCADENCE   variantes – recevait dans son intrados les armoires, plonge et égout-  villa pour Max de Cérenville, entré au conseil d’administration de
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 D’UNE RÉALISATION   toir nécessaires au service, et, sur son extrados, les barres de laiton   l’hôtel en avril 1913, vice-président depuis 1923 . Pour compléter
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                  auxquelles, selon le Littré, le bar doit son nom. Des boiseries, com-
 DE L’ARCHITECTE J. CORNAZ  me des persiennes, réalisées par la menuiserie R. Ledermann revê-  ajouter que le banquier Auguste Brandenburg, premier comman-
                  taient les murs. Dans l’axe, J. Cornaz prévoyait une niche « en glace
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                  ou en peinture  ». Une photographie publiée en 1943 montre qu’un   portants actionnaires de la sio.
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                  vaste miroir occupait le fond du dancing mais ne permet pas de      J. Cornaz dessine également les meubles du bar, vraisem-
                  voir laquelle des deux propositions fut retenue (fig. 4). Une esquisse   blablement réalisés par R. Ledermann, agencements de magasins,
                  préparatoire montre que la peinture représentait une rose des vents   ébénisterie, menuiserie. Des esquisses de mai 1939 montrent des
                  sur fond de lac Léman (fig. 5). Or, exactement à la même épo-  tables à pieds tournés imitant le bambou, forme qu’il affectionne
 Nadja MAILLARD
                  que, J. Cornaz construisait à Pully une villa baptisée « La Fraidieu »,  et autour desquelles ses carnets d’esquisses montrent qu’il reve-
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    Comme Uri, erg, obi ou rea, le terme ravit et fait enrager   il semble justifié de profiter de la fermeture partielle du vieil hôtel, pour   du nom d’un des vents du lac , pour Renée et Raymond Devrient   nait périodiquement. Ceux-ci attestent aussi les recherches qu’il
 les cruciverbistes tant il revient dans les grilles avec une fatalité et   faire le bar en même temps. Les moyens dont nous pourrons disposer, et les   où le peintre Henry Bischoff, cousin de l’architecte, réalisasur une   effectua à Paris, dans différents bars d’hôtels, le Plaza, notamment,
 une fréquence redoutables. Polysémique, palindrome, c’est à croire   réflexions que nous avons faites, nous ont amenés à changer le programme   toile marouflée une rose des vents qui illustrait cette appellation sur   où il fait des relevés de différents détails, de la composition, des
 qu’il n’a été inventé que pour investir les cases blanches de ses   que nous avions mis à la base de votre étude. Nous voulons faire le bar   un mode « mythologico-fantaisiste ».  types de matériaux (fig. 6). Ce qu’il faut relever, c’est que J. Cornaz
 trois lettres, en franc-tireur et en ne risquant jamais la « potence » !   seul, simple et classique si je puis employer cette expression pour un local à      Il convient à ce point de souligner un trait qualifiant toute   se comporte dans cet espace public comme il le fait pour un
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 Dépourvu d’E, il a toute sa place dans le lexique de La Disparition   destination si moderne . » En décembre, décision est prise d’exécuter   la production de J. Cornaz. Hormis une dizaine de réalisations,  intérieur  privé, voire pour  ses  projets de  décors  de théâtre.  Il
 dont l’auteur était précisément un verbicruciste acharné ! Le bar,  les travaux prévus : « Soit aménagement du local est en bar proprement   l’ensemble de la commande qui lui fut adressée se regroupe, avec   prévoit la même composition centrale, au sol les mêmes briques
 car c’est de lui qu’il s’agit, le bar est avec le lobby ou la salle à man-  dit, avec faux plafond, revêtement des murs en bois. Le local ouest sera   constance entre 1924 et 1966, sur les pourtours du lac Léman. Cette   de terre cuite de Bussigny posées à bâtons rompus limitées par
 ger, un des lieux qui « font » l’hôtel.   traité comme un salon, le Conseil décide de ne pas poser de porte entre les   caractéristique peut-elle être raccordée à cette « hypothétique identité   des plates-bandes en marbre noir de Saint-Triphon (l’association
    Au Beau-Rivage Palace, jusqu’en septembre 1938, le Comité   2 locaux, de supprimer la cheminée trop petite entre les deux fenêtres et de   romande » énoncée par Antoine Baudin à propos du langage pictu-  de ces matériaux, la bichromie qui en résulte, étant très prisée
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 d’administration envisage de « rafraîchir à peu de frais les peintures »    placer un réseau transparent au plafond . »   ral romand d’alors, qui se joue dans son rapport avec le site ? Selon   par l’architecte qui y recourt de manière assez systématique ), les
 du bar existant, mais dans sa séance du 10 octobre, il considère fi-     En janvier, J. Cornaz présente un croquis d’intention donnant   A. Baudin, les éléments structurants de ce paysage – au sens que la   mêmes meubles capitonnés, les mêmes voilages que dans nombre
 nalement « qu’une simple remise en état du bar est désavantageuse, parce   les grandes lignes du projet et montrant que le parti d’ensemble   géographie de la perception a donné à ce terme – sont le Rhône,  de ses villas (fig. 7).
 qu’elle oblige à acheter un mobilier sans savoir dans quel cadre il se trouvera   est pris . Subdivisé en deux espaces, le programme investit l’ancien   le Léman qui apparaissent comme les lieux d’une mythologie : « Le      Au printemps 1939, les délibérations du conseil d’adminis-
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 lorsque le bar sera remis à neuf. M. Muller tient le nouveau bar pour aussi   billard : à l’ouest un dancing, à l’est le bar proprement dit (fig. 1). Le   Lac, motif central et unificateur, peut ainsi se muer en Méditerranée de ‹ l’at-  tration et la correspondance nous apprennent que les travaux ont
 nécessaire que l’installation du solde des appareils d’appels lumineux et de   dancing prévoyait un sol marqueté, pour lequel il précise les essen-  ticisme › romand, moderne parce que classique . » En 1938, J. Cornaz est   pris du retard : « Nous voici au dernier jour de Mai, et le Bar est encore
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 la remise en état du vieux Beau-Rivage. Tous ces travaux doivent se faire   ces, à la composition centrée sur une étoile, puis rayonnant par seize   l’architecte de la « bonne société lausannoise ». À Ouchy, notamment, il   loin d’être terminé. C’est un gros ennui pour nous et une perte évidente
 simultanément pendant que l’hôtel est fermé […]. Le bar actuel et le man-  quartiers en « ombrelle » (fig. 2). Le plafond, en bois ajouré et peint ,   s’est fait connaître par la transformation et la construction de diver-  dans un moment où il y a beaucoup de monde à l’hôtel, pour le passage de
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 que de bains nous font également perdre des clients » . Deux jours plus   avait le zodiaque pour motif central, chacune des douze pointes de   ses villas, certaines situées sur le terrain d’anciennes campagnes. Il   Pentecôte et pendant les tournois d’escrime . » Si le conseil se réjouit de
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 tard, il en informe l’architecte J. Cornaz (1886-1974) en ces termes :   l’étoile servant de point de départ à des arcs de cercle qui coloni-  n’est que de citer la transformation de Fantaisie pour Henry-Louis   ce que les crédits alloués n’ont pas été dépassés, il reste quelque peu
 « Ce n’est pas que les bénéfices de l’année nous permettent de nous lancer   sent la surface du rectangle jusqu’à une frise de grecques formant   Mermod (1926) et du Denantou pour le sculpteur Édouard-Marcel   réservé en ce qui concerne le résultat : « Les grands travaux entrepris
 dans les dépenses somptuaires. Mais nous sommes à peu près obligés de   bordure. Le tout était éclairé de manière indirecte, par des néons   Sandoz (1930-1932) , la construction d’une maison de maître et   cet hiver sont achevés. Si le restaurant est très réussi, le bar reste froid. Les
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 terminer l’installation des signaux lumineux commencée l’hiver dernier, et   placés dans une large corniche périphérique dont la modénature   ses dépendances au Petit-Ouchy pour Béatrice et Walter Mermod-  fauteuils qui ont été placés à l’essai ne conviennent pas. Le tout a grand air,
 J. Cornaz. Perspective frontale, mine de plomb,   J. Cornaz, Hôtel Beau-Rivage, parquet du dancing.   J. Cornaz. Beau-Rivage, dancing, plafond. Ech. 1:20,
 encre de Chine et gouache, sans date.  Ech. 1:20, sans date.             dessin pour maquette, sans date.



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