Page 318 - Livre Beau-Rivage Palace
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termes, ce serait un tort de percevoir ce livre comme le repaire de Rivage / Le Palace / Deux navires / Merci à tous les marins »), Anémone, Étienne Daho, Alain Souchon, Michel Fugain, Sylvie Vartan, du moins ils signent rarement le Livre d’or. Deux hypothèses : soit
la suffisance et de la gloriole. Demander aux hôtes de l’hôtel d’y Mireille Darc, Marthe Keller et Jean-Paul Belmondo en 1992, Renaud, Francis Cabrel, Nougaro, Michel Jonasz, Georges Moustaki, un écrivain est une espèce impécunieuse (et il ne vient pas au
laisser une trace de leur passage autre que comptable, revient à fixer Woody Allen et Mia Farrow en 1991, Bruce Willis en 1990 (« The Véronique Sanson, Patrick Bruel, Françoise Hardy, Patricia Kaas, Beau-Rivage), soit un écrivain est une espèce dénuée de prestige
une rencontre, celle d’une personne, avec sa vie et ses préoccupa- Beau Rivage c’est excellent !! Room 423 was fantastic… »). Les hasards Roch Voisine, Frédéric François, François Feldman, Michel Berger, (et il vient, mais on ne lui demande de signer que s’il est académi-
tions, et d’une institution, avec son organisation et son histoire. Un de la chronologie favorisent les télescopages entre cinéma d’auteur Eros Ramazzotti. Nous trouvons aussi deux compositeurs stars, cien, comme d’Ormesson et Carrère d’Encausse, ou médiatique,
palace ne saurait survivre sans cette conjonction. En un sens, son et héros de blockbusters, vedettes people et stars d’antan, tradition Jean-Michel Jarre et Michel Legrand, et de nombreux interprè- comme Sulitzer). Il n’est pas impossible que les deux hypothèses
Livre d’or est donc sa justification. Les éloges des chefs d’État qui française et professionnels américains. Ainsi se marient les goûts et tes de musique classique : les pianistes Vladimir Ashkenazy, Ivo soient également vérifiables…
séjournèrent au Beau-Rivage en 2003 sont les seuls échos que les styles : toutes divergences et concurrences oubliées, on finit par Pogorelich, Pavel Gililov, Mitsuko Uchida et Alexis Weissenberg, les Certains artistes donnent leur signature sans commentaire –
nous ayons de l’immense labeur qu’entraîna leur séjour, et du sim- savourer en commun le luxe des vieux établissements de la vieille violonistes Viktor Pikaizen, Yehudi Menuhin et Pierre Amoyal, les ce qui peut valoir le détour, ainsi la graphie explosée de Grace
ple fait de leur présence en ces lieux. Europe. Bien sûr, le temps des villégiatures est passé. Le plus sou- chanteurs et cantatrices Julia Migenes, Galina Kalinina, Francisco Jones. Mais la plupart ont la courtoisie d’orner le Livre d’or d’un
Hélas, il faut le dire, les Livres d’or du Beau-Rivage sont vent, ces gens sont là pour affaires, pour des campagnes de promo- Araiza, Eva Lind, Juan Pons, Kaloudi Kaloudov, Paata Burchuladze, mot gentil. Pas nécessairement original, mais assez personnel pour
une institution récente et tardivement épanouie. Le premier a été tion ou des tournages. Palace et travail ne sont pas incompatibles. Philippe Hutenlocher. Enfin le chef d’orchestre Riccardo Muti. qu’on ait la certitude qu’ils ont été vraiment heureux au Beau-
ouvert plus de trois quarts de siècle après l’ouverture de l’hôtel, en L’association entre les faux-semblants du cinéma et le décor Un musicien est un nomade, une star de la musique touche Rivage. Tous ou presque expriment une satisfaction qui n’est pas
1939, et a servi près d’un demi-siècle. Le deuxième est mis en cir- d’un palace – et peut-être des palaces des bords du Léman tout spé- des cachets mirobolants. Voilà qui explique largement l’abon- du seul ordre matériel. Ainsi Yehudi Menuhin : « Toutes les fois que
culation en 1985. Suivront un troisième en 1990 et un quatrième, cialement, parce que le paysage qui s’encadre dans leurs fenêtres dance de signatures. Mais cela ne suffit pas. Certains, vedettes de je me trouve dans ce Beau Rivage, vous réalisez un rêve », ou Mireille
toujours en cours, en 2001. La durée de vie des Livres indique leur semble lui-même fabriqué – n’est pas fortuite. La réalité y est re- groupes en tournée de concerts ou divas en tournée de promo- Darc : « Ici, la réalité dépasse le rêve […]. Je me laisse bercer sur les ailes
taux de fréquentation : très peu de signatures des années trente aux construite. Un palace a quelque chose d’un écran : fait pour plaire, tion, séjournent au Beau-Rivage pour des raisons de représenta- du Bonheur. » Beaucoup disent leur désir de revenir. Jeanne Moreau
premières années quatre-vingt, un pic entre 1985 et 1995, puis construit et meublé pour satisfaire une attente, découpé et articulé tion. Il s’agit de se montrer et de se vendre. D’autres, chanteurs ou explique pourquoi : « Dans ce lieu propice au travail et à la réflexion créa-
un fort ralentissement. On ne saurait déduire de ces données que comme la scène toujours changeante d’une vie de représentation. interprètes classiques, ont besoin pour travailler et se concentrer tive j’aimerais revenir souvent. » Georges Moustaki ajoute une touche
le palace aurait reçu peu ou pas de visiteurs prestigieux pendant Et pour l’acteur qui passe du décor de plâtre d’un tournage au d’une atmosphère calme et reposante. Grand-messe médiatique mythologique et littéraire : « Heureux Ulysse / Qui revient au (Beau)
cinquante ans, puis serait devenu le lieu à la mode, avant de re- décor de stuc du palace, il y a peut-être un agrément à ne pas se ou recueillement : les deux extrêmes sont compatibles et leurs Rivage. » D’Ormesson résume le tout : « Vivre et travailler au Beau-
tomber dans un relatif anonymat. Il y a eu des hauts et des bas, de trouver dépaysé : il ne change pas de monde. conditions de réalisation sont opportunément fournies par le pa- Rivage quelques jours est un rêve d’hier, d’aujourd’hui et de toujours. »
bonnes années et des crus moins prestigieux. Mais le nombre de L’art qui flirte le plus volontiers avec l’univers feutré du Beau- lace. Peut-être faut-il ajouter à ces heureuses coïncidences une Claude Nougaro, quittant les chemins battus, fait un retour inatten-
signatures dépend aussi de ceux qui sont chargés du soin du Livre Rivage demeure la musique. Ici comme dans le domaine du ci- donnée plus impalpable : l’atmosphère d’un palace, avec ses vastes du sur l’objet même de son attention : « Où vont les livres d’or quand
d’or. Pendant les décennies pauvres en signatures, ils ont sans doute néma, le palace se montre œcuménique. Toutes les musiques s’y espaces, ses salons, ses dégagements, le contraste entre la sensation ils dorment ? / Dans un plus bel hôtel que celui-ci ? / Impossible. »
eu tendance à l’oublier – et c’est dommage car cela revient, pour croisent. Au cours de la même période 1990-2002 s’y mêlent les d’intimité et l’ouverture sur un paysage sublime, a des affinités Lausanne, cité sportive. On sait que la présence du cio y a at-
l’hôtel, à une perte nette de mémoire. signatures de rockeurs, chanteurs, interprètes classiques et vedettes avec la musique, ou si l’on préfère avec l’espace sonore, à la fois tiré nombre de fédérations et d’organisations sportives internatio-
Reprenons notre promenade rétrospective. Le cinéma semble de la variété. Brève revue : en musique rock, soul, blues et pop, nous espace intérieur et projection vers les lointains. Un palace ré- nales. Le Beau-Rivage, tout proche voisin, en recueille les fruits. La
avoir des affinités avec les palaces. Les noms déjà cités ont été pré- avons Phil Collins et Madame – à plusieurs reprises : ils sont voi- sonne de manière musicale. création du Grand prix Beau-Rivage Palace attire chaque année
cédés, depuis quinze ans, par ceux de Jacques Villeret et Richard sins –, le groupe Deep Purple, Art Garfunkel, Mick Mulcahy, Grace Le monde des arts et de la création est par ailleurs peu pré- les navigateurs les plus prestigieux. Loïc Peyron (2001 et 1995) fait
Berry en 2002, Jeanne Moreau en 2000, Sydney Pollack en 1999, Jones, Alan Parsons, Joan Baez, Ben E. King, les Gipsy Kings. Le sent : Pierre Cardin et la mode en 2000, David Copperfield le ma- suivre sa signature d’un petit personnage façon Gavroche. Olivier
Richard Gere en 1998, Fanny Ardant et Niels Arestrup en 1996, jazz, concentré à Montreux, est plus rare : seuls Dizzy Gillespie et gicien en 1994, l’écrivain Jean des Cars en 1993, la danseuse étoile de Kersauson (1998) rappelle que « La vie comme la mer vous amè-
Mel Gibson, Jean-Hugues Anglade, Jean-Jacques Beineix, Ron Michel Petrucciani se rappellent à notre souvenir. En 1992, nous Sylvie Guillem, l’acteur Jean Piat, le romancier Paul-Loup Sulitzer ne parfois au rivage ». Florence Arthaud (1995) commente : « Beau
Howard, Anouk Aimée et Michel Galabru en 1995, Jane Birkin et trouvons le roi brésilien de la bossa-nova Gilberto Gil – devenu en 1992, l’acteur comique Emil Steinberger, dit Emil en 1991, les rivage, beau temps, belle mer, belles régates / À l’année prochaine. » Pierre
Pierre Arditi (« C’est beau chez vous, très beau, encore plus beau avec Jean- depuis lors ministre de la Culture dans le gouvernement Lula. Les écrivains Jean d’Ormesson, Maurice Denuzière et Hélène Carrère Fehlmann (1995) est superlatif : « Une idée / Des Régates formida-
nette ») en 1994, Yves Rénier et Michel Piccoli en 1993 (« Le Beau- chanteurs semblent constituer un fonds de clientèle inépuisable : d’Encausse en 1990. Un fait s’impose : les écrivains sont rares, ou bles / Une Réussite. » On croise aussi, dans les couloirs du palace, des
Francis McCann. Mariage de la princesse Dolorès de Bourbon avec le prince
Auguste Czartorisky. Photographie, 1937.
Sur l’escalier sud du Beau-Rivage, au premier rang, deuxième depuis la gauche,
Alphonse XIII, à sa gauche la reine Amélie du Portugal et le roi Ferdinand
de Bulgarie. Derrière la reine Amélie, le comte de Paris.
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