Page 322 - Livre Beau-Rivage Palace
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Fig. 4
L’année a commencé avec la visite d’un couple précieux, Bernard- désormais sont ici. Je viendrai m’y vautrer tant que je pourrai… » Des que le transfigure ce texte, devient le lieu où se concentrent et ricain Dean Rusk et le ministre allemand des Affaires étrangères
Henri Lévy et Arielle Dombasle : il annonce que le palace aura étoiles d’un autre genre se réunissent en octobre 1987 : Frédy survivent les charmes d’une société qui n’est plus et d’une culture Gerhard Schroeder. Pour le reste, néant. Les commentaires sont
l’honneur de figurer dans un prochain livre, elle chante la suite Girardet, vedette de la gastronomie mondiale et proche voisin, qui se meurt : ceux de l’Europe dans ce qu’elle a eu de plus spéci- aussi chiches que rares, et le mot qui accompagne ici ou là une
royale et le clair de lune. Enfin Georges Simenon, installé à Lausanne invite une quinzaine de grands chefs. Parmi les griffes qu’ils dé- fique, de plus personnel à la fois et de plus universel, telle qu’elle signature est toujours gentil, sans plus. Richard Nixon a aimé la
depuis plusieurs décennies, passe à la fin de sa vie plusieurs mois posent dans le Livre d’or, on distingue celles de Lasserre, Bocuse, s’est rêvée et que d’autres l’ont rêvée. Une civilisation ancienne, vue qu’il avait de sa fenêtre. Nous devons nous contenter de cela
au palace. Le jour de Noël 1988, il signe une dédicace : « Au Beau- Robuchon et Pierroz. Les institutions françaises les plus presti- encore présente dans un microcosme idéal. Nous retrouvons l’idée et d’une éventuelle photographie – dont ne transpire en général
Rivage où tout est mis en œuvre pour que chacun se sente chez lui. » gieuses sont régulièrement présentes : l’Académie française avec de l’utopie, mais d’une utopie inversée : arrachée au passé plutôt aucune information pertinente.
En automne 1988, le palace est traversé par quelques uni- Maurice Rheims, Michel Droit et Alain Decaux, la Comédie que projetée dans le futur, enracinée dans un monde qui l’a oubliée Un homme pourtant conserve vivant le souvenir de ce que
vers infiniment distants les uns des autres. En novembre, la prin- Française avec Georges Descrières, le Collège de France avec plutôt qu’exilée au royaume des abstractions. fut le Beau-Rivage des années cinquante et soixante. André Visson,
cesse Anne d’Angleterre et le prince Albert de Monaco parti- l’orientaliste Jacques Berque. Une vague de fond d’un esprit plus Les Livres d’or nous livrent encore quelques noms d’acteurs journaliste américain d’origine russe y vécut six mois par an avec
cipent à une session de l’Agfis. Jacques Delors, président de la populaire se fait jour, avec Maurice Mességué, roi de la santé par les ou d’artistes au début des années quatre-vingt et à la fin des années son épouse et son fils Philippe. Ce dernier, enfant puis jeune hom-
Commission européenne, est au palace le même jour. En août, plantes, Jacques Martin, l’illustre père d’Alix et de Lefranc, et l’ani- soixante-dix : Mel Ferrer en 1985, John Travolta en 1984, Serge me, fréquenta le cercle des amis et relations de ses parents, et lia
le Livre d’or a été signé par Son Altesse Impériale la petite-fille matrice de télévision Dorothée. Lausanne, déjà, attire les sportifs, Gainsbourg vers 1982, Liza Minnelli en 1978. Puis plus rien. Non connaissance avec celui, plus large, des hôtes du Beau-Rivage qu’il
de Hirohito, précédant d’une année son frère, et par le grand avec les coureurs automobiles Emerson Fittipaldi, Clay Regazzoni seulement le nombre de signatures diminue drastiquement, mais avait l’occasion de rencontrer au restaurant ou au bar, ou dont le
Maître zen Kohun Yamada. En avril, sept signatures indiquent le et Michele Alboreto ou les tennismen Yannick Noah et Henri il semble que de la fin des années cinquante au milieu des années personnel de l’hôtel lui contait les bizarreries. De ses souvenirs
passage du groupe Supertramp au complet. En janvier, l’écrivain Leconte. Les sessions du cio aimantent les hommes politiques. quatre-vingt, le Beau-Rivage palace et son administration n’aient émerge l’image d’un palace débordant de vie, fréquenté par les
Dominique Lapierre résume ce qu’est pour lui l’expérience pré- Celle de 1986 réunit le prince Bertil de Suède, le prince Harald eu d’yeux que pour l’aristocratie et les puissants. Ils enregistrent milieux les plus élégants, par des diplomates, des acteurs, des ex-
sente : « Après deux années exaltantes d’enquête dans les bidonvilles de de Norvège et Jacques Chirac – qui est à cette époque premier une belle série de visites. Des chevaux de retour de la grande po- centriques, des parvenus – tout un monde dont le Livre d’or de ces
cAlcuttA, se retrouver tout à coup dans la suite Paderewski du Beau- ministre –, entourés d’une brochette de champions. Ajoutons, au litique, Maurice Schumann et Edward Kennedy en 1985, Edgar années ne laisse en rien soupçonner l’existence.
Rivage, c’est faire le voyage de la terre à la lune, d’une sorte d’enfer palmarès du Beau-Rivage, la visite de quelques ambassadeurs, mi- Faure en 1984, Richard Nixon en 1980, mais aussi nombre de D’abord, il y a les altesses, les grandes et nobles figures de
à une sorte de pArAdis. » nistres et chefs d’État, dont le roi Hussein de Jordanie accompagné ministres, princes ou présidents en exercice : Hussein de Jorda- l’aristocratie. Les familles royales d’Espagne et d’Italie, une série
Quoi de commun entre Gianni Versace, Christiane Desroches- de son épouse la reine Noor. nie – un habitué –, la princesse Beatrix des Pays-Bas – une habi- de familles princières alliées ou amies, des rois en exil se croi-
Noblecourt et Jean Yanne ? Ils ont séjourné dans les mêmes murs en En 1987, l’historien tunisien et spécialiste de l’islam Hichem tuée –, Amine Gemayel – encore un habitué –, le prince Philippe, sent régulièrement au Beau-Rivage. Le roi Umberto II d’Italie,
décembre 1987. Les années 1986 et 1987 ont vu défiler un nom- Djaït, professeur de plusieurs universités européennes et américaines, duc d’Edinburgh, le président du Mexique Gustavo Diaz Ordaz, le prince Victor Emmanuel, le prince Ruspoli, le roi et la reine
bre record de visiteurs de marque. Musique : Pierre Perret, Bernard offre au Livre d’or une dédicace exceptionnellement développée, qui un ministre des Affaires étrangères japonais, un secrétaire général de d’Espagne, la future reine Fabiola, le comte de Barcelone, le prin-
Lavilliers, Wolfgang Sawallisch, Jean-Claude Casadesus, Fats Do- éclaire ce que signifie ou a pu signifier le Beau-Rivage. Ce dernier, l’otAn, le chancelier allemand Helmut Schmidt, des membres des ce Louis Napoléon, le prince Rainier et la princesse Grace de
mino, Régine Crespin, Oscar Peterson, Diana Ross et son époux, écrit-il, « représente à merveille l’hospitalité suisse et, à mes yeux d’Arabe, familles royales scandinaves, grecque, saoudienne, du Lichtenstein, Monaco, Mohammed Shah Aga Khan, le roi Farouk y ont leurs
Arne Naess jr. Cinéma : Françoise Fabian et son mari Marcel un moment de la grandeur européenne. Avec son style merveilleusement rétro, du Luxembourg, de Jordanie, d’Éthiopie, de Thaïlande, du Japon. habitudes. Dans les années cinquante débarque une famille très
Bozzuffi, photographiés sur la terrasse de leur chambre, feuillettent c’est la vieille Europe qui surgit devant mes yeux, c’est-à-dire au bout du En 1971, l’Empereur du Japon Hirohito, son épouse et sa suite puissante, mais d’un style inhabituel et que certains tiennent pour
le Livre d’or ouvert à la page où les époux Naess, quelques mois compte une grande civilisation dans sa spécificité la plus forte, dans sa volonté posent devant le photographe aux côtés de la crème des autorités barbare : en septembre 1957, le roi Ibn Séoud [Saoud ben Abdel
plus tôt, ont dessiné un grand cœur… Charles Vanel, d’une écri- de prestige. Or je suis amoureux des civilisations, surtout quand elles aspi- helvétiques et vaudoises (fig. 4). Aziz Al-Saoud], arrivant de Baden-Baden, passe six jours au palace
ture tremblée, dit son regret de quitter « cet hôtel enchanteur ». Sont rent à personnaliser les êtres et leur identité, tout en visant une universalité Que font-ils, pourquoi sont-ils là, nous l’ignorons. Seul le re- avec sa suite de trente-deux personnes ; à la fin de la décennie, le
aussi venus au palace un habitué des rives du Léman, Alain Delon, quelconque. Le ‹ Beau-Rivage › reste à mes yeux représentatif de ce moment tour régulier des sessions du cio nous donne une indication. Nous roi Fayçal d’Arabie, son épouse, ses neuf enfants et leur person-
et une divinité descendue de l’Olympe hollywoodien : Gregory poignant où l’Europe était l’Europe et était le monde. » Un monde qui savons aussi qu’en mars 1963 les entretiens germano-américains nel deviennent des habitués – Philippe Visson se lie d’amitié avec
Peck. Et un acteur français qui ne manque pas d’humour, Philippe était le monde : dans les années quatre-vingt, cette image ne peut qui préludent à la Conférence de Genève sur le désarmement les enfants, entre autres Saoud, aujourd’hui ministre des Affaires
Léotard : « Bon ! D’accord, je n’irai plus à Capoue ! Les vrais délices se décliner que sur le mode mélancolique. Le Beau-Rivage, tel ont lieu au Beau-Rivage : sont présents le secrétaire d’État amé- étrangères, et Turki, chef des renseignements jusqu’en 2001. Les
Devant l’hôtel, départ le 11 octobre 1971 de Leurs Majestés l’empereur Hirohito
et l’impératrice Nagako du Japon, auquel assistent Messieurs G.-A. Chevallaz,
syndic de Lausanne, Bonnard, conseiller d’État et Payot, chancelier de l’État de Vaud,
accompagnés de leurs épouses ainsi que Monsieur Walter Schnyder,
directeur du Beau-Rivage Palace et Madame.
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