Page 103 - Livre Beau-Rivage Palace
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GRAND HÔTEL et américaine si les établissements balnéaires et les palaces n’avaient pas d’expliquer comment et pourquoi l’Hotel Londres avait été choisi. Aucun
existé. » Il précise avec pertinence – sinon toujours avec exactitude – des délégués ne logeait là et personne n’avait demandé de permission au
ET GRANDS ÉVÉNEMENTS: qu’apparurent durant cette période : « A Londres et dans d’autres mé- directeur, qui considérait avec inquiétude les expressions de surprise et de
HISTOIRE, tropoles telles Paris, Vienne, Rome, Venise, Madrid et un long ‹ etcetera ›, dégoût de la clientèle aristocratique confrontée à ce groupe de dangereux
les noms de grandes chaînes, comme Ritz, Palace, Hilton, Carlton, Waldorf, radicaux ( jacobinos) ». De la même manière, en quelque sorte, le
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HÉRITAGE ET HOSPITALITÉ Savoy, Metropole, Victoria… Ils donnèrent naissance à un monde de luxe site Internet actuel de l’hôtel ne fait nulle mention de ce rôle
historique, alors qu’il commémore les séjours de la reine Isabelle
intercontinental, érigeant de somptueux édifices aux aspects de palais et
occupant les sites privilégiés de la cité. » Comme il le relève, outre ces au cours de son exil en 1868, d’Amédée de Savoie lorsqu’il bri-
développements métropolitains, il convient de considérer l’essor guait la couronne d’Espagne en 1872, et de la célèbre et séduisante
des cités de villégiature portées par une vogue cosmopolite, avec espionne de la Grande Guerre, Mata Hari, active à San Sebastián à
leurs casinos et leurs lieux de plaisir destinés à distraire et retenir l’époque où la situation de cette station en terre neutre en faisait
aussi longtemps que possible la haute société internationale, qui un point névralgique de l’espionnage. L’hôtel a aujourd’hui donné
John WALTON
exerçait souvent une influence considérable sur la politique et la son nom à une luxueuse suite .
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Nombreux sont les grands hôtels qui aiment à mettre l’accent cherche à toucher une clientèle internationale éclairée à travers diplomatie, en particulier dans les villégiatures qui étaient aussi des Le romancier anglais Arnold Bennett explore ces thèmes en
sur les aspects de leur histoire et de leur tradition qui impliquent l’appréciation partagée d’un capital culturel, entraînant la recon- résidences royales et des capitales d’été, comme San Sebastián et décrivant un hôtel fictif, le Grand Babylon Hotel, qu’il situe dans le
visiteurs importants et événements significatifs, tels les rassemble- naissance des attraits de l’aura « signifiante » de son association, tant Ostende, ou qui servaient de lieux de rencontres internationales en quartier riverain de l’Embankment, à Londres, au cœur de l’empire
ments internationaux qui ont été suivis de conséquences durables à d’importants événements, relations et personnalités du passé qu’à pays neutre en temps de guerre . britannique et de la machinerie politique mondiale, au début du
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dans les domaines de la politique et de la diplomatie, qui ont im- une architecture, des œuvres d’art, un mobilier, un décor ou un Il serait bien sûr erroné d’imaginer ces lieux paisiblement xx siècle, peu après la mort de la reine Victoria : « Le Grand Babylon
pliqué la conclusion d’alliances, de traités, et présidé à la fondation « design » historiques, un parti commercialement avantageux peut amarrés à l’écart des courants de l’histoire. Considérons les bains alle- était le seul hôtel de Londres qui offrit en permanence une véritable entrée
d’organisations régulatrices ou influentes. Ils tendent à reconnaître être tiré d’une présentation à la fois érudite et attractive de ces fa- mands de Bad Ems, où les rencontres entre l’empereur d’Allemagne séparée à l’usage exclusif des visiteurs royaux. On y considérait comme
la valeur commerciale de ces célébrations prestigieuses et impor- cettes du passé. De telles associations se muent en autant d’aspects et l’ambassadeur de France ont produit le fameux télégramme qui perdu un jour où l’on n’avait pas reçu au moins un prince allemand ou le
tantes, voire à s’en attribuer le mérite. Tel n’est cependant pas tou- désirables de l’identité distinctive d’un « lieu mythique », qui contri- a contribué à précipiter la guerre franco-prussienne. Prenons Vichy, maharajah de quelque état indien. Lorsque Félix Babylon – d’après qui, et
jours le cas : l’examen attentif de sites Internet d’hôtels historiques buent à le distinguer de ses concurrents en évoquant pour ses la station thermale probablement la plus courue de France, associée non en référence au surnom de Londres, l’hôtel avait été nommé – avait fondé
montre que la reconnaissance d’un passé exceptionnel peut être clients potentiels une tradition hôtelière destinée aux personnalités à l’empereur Napoléon III, son rôle en tant que capitale de la zone l’hôtel en 1869, il s’était préparé à recevoir ‹ des têtes couronnées ›; c’était
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négligée ou même inexistante, que la focale peut n’être placée que influentes, riches ou célèbres . Les liens imaginaires, qui associent libre durant la majeure partie de la Deuxième Guerre mondiale et là le secret de sa triomphante célébrité. Fils d’un riche hôtelier et financier
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sur ce qui est nouveau, luxueux ou « à la pointe » parmi les attrac- l’hôtel à des personnages ou à des épisodes de célèbres fictions ou lieu de dissolution de la III République, sa lutte pour se démarquer suisse, il s’était ingénié à se mettre en cheville avec les hauts fonctionnaires
tions et les commodités offertes par un hôtel. C’est particulière- œuvres d’art, voire à de prestigieuses et touchantes histoires ou lé- de l’association indésirable avec la collaboration que ce statut impli- de plusieurs cours européennes… Des rois mauresques et plus d’une prin-
ment le cas – bien que non systématiquement – lorsque la propriété gendes du domaine public, sans pouvoir être prouvés n’en ont pas quait, et son rôle de centre social et politique des élites francophiles cesse l’appelaient tout simplement Félix… et Félix savait que c’était bon
est passée aux mains de ce type de chaînes internationales dont les moins d’emprise, nous le verrons plus bas. des colonies d’Afrique du Nord pendant les troubles des années pour les affaires. Le Grand Babylon était dirigé en conséquence. Les mots
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préoccupations principales sont la mise en conformité à des stan- Comme le constate Pedro Navascués dans son introduction à cinquante à soixante . Considérons encore San Sebastián même, d’ordre étaient : discrétion, discrétion en toutes circonstances, et calme, sim-
dards internationaux, impliquant une sorte de « McDonaldisation » l’histoire des récentes rénovations de l’Hôtel Maria Cristina à San où le très en vogue Hotel De Londres y de Inglaterra joua le rôle plicité, réserve. Les lieux étaient comme un palais de l’incognito . » Tous
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haut de gamme qui cherche avant tout à garantir l’uniformisation Sebastián (inauguré en 1912), un exemple classique (et typique) inconscient et involontaire de lieu de rassemblement des conspira- les grands hôtels internationaux n’observaient pas cette politique,
de l’expérience du consommateur dans toutes les succursales de de la vague de construction internationale d’hôtels de grande en- teurs qui mena au pacte de San Sebastián en août 1930, à l’origine mais nombre des pratiques relevées par Bennett avaient largement
l’entreprise et, partant, décourage le type de diversité qui pour- vergure qui a inondé l’Europe et s’est propagée à travers le monde de l’instauration de la Seconde République, et qui traça la voie, cours. Il fait remarquer plus loin, dans une conversation entre Félix
rait – dans le cadre de tel assortiment de prétentions à la standardi- au cours de la fin du xix et du début du xx siècle : « Il serait diffi- en définitive, à la Guerre civile. Le chef socialiste Indalecio Prieto, Babylon et un millionnaire new yorkais, que bien qu’un tel hôtel
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sation – menacer l’intégrité du label . Cependant, lorsqu’un hôtel cile de comprendre certains aspects des histoires et des cultures européenne membre de ces assemblées, ajoutera plus tard que : « Il était impossible eût à fonder sa réputation et son succès en logeant des ambassadeurs,
Salle de la Conférence de Lausanne 1932 – Beau-Rivage-Palace Ouchy. Conférence des réparations, Lausanne 1932.
Carte postale. Séance d’ouverture dans la grande salle du Beau-Rivage Palace.
À gauche, au centre MM. Ramsay McDonald, Giuseppe Motta et Édouard Herriot.
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