Page 98 - Livre Beau-Rivage Palace
P. 98
2 500 000 35
30
2 000 000
25
1 500 000 20
15
1 000 000
10
500 000
5
0
1862 1865 1868 1871 1874 1877 1880 1883 1886 1889 1889 1892 1895 1898 1901 1904 1907 1910 1913
de la buanderie est confiée à la firme dirigée par Jules Duvillard, Grand Hôtel de Vevey et de l’hôtel Brenner; dans le premier de ces accidents, fruit de la stratégie de modernisation technique efficace menée par de l’entreprise ont ainsi renoncé à une prise de risque qui leur
membre de la Société vaudoise des ingénieurs et architectes et ac- une dame a eu la cuisse cassée . » l’établissement. Alors que certaines voix, apeurées par la crise des aurait permis de se profiler et de jouer un rôle plus en vue.
65
tionnaire de la sio. Au cours des deux décennies suivantes, la mécanisation et années 1870 et 1880, prônaient la fermeture de l’hôtel durant la Arrivé au terme de la saga technique du Beau-Rivage Palace,
En règle générale, la collaboration avec les entreprises ré- l’électrification de l’hôtel augmentent les risques d’accident aux- période hivernale, ou encore le déclassement du Beau-Rivage, les force est de constater l’importance que la maîtrise du progrès tech-
gionales demeure toutefois limitée, soit qu’elles n’offrent pas les quels la clientèle et le personnel sont exposés. En 1919, l’établis- esprits les plus audacieux ont préféré la voie de l’investissement et nique a joué dans la « success story » de cet hôtel. À l’heure de l’in-
compétences nécessaires, soit que leur savoir-faire est jugé insuffi- sement possède pas moins de 24 moteurs dans ses différents ser- du changement, réussissant à maintenir le Beau-Rivage à son statut formatique, d’Internet et des énergies renouvelables, il n’est pas sans
66
sant. À plusieurs reprises, des entreprises lausannoises et genevoi- vices . Cet accroissement du risque a néanmoins pu être maîtrisé de premier rang. intérêt de se remémorer la capacité d’adaptation dont ont fait preuve
ses sont ainsi écartées au profit de firmes plus prestigieuses, suis- grâce à une politique d’équipement privilégiant la dimension sé- La stratégie des administrateurs de l’hôtel vis-à-vis du trans- les pionniers de la Belle Époque. Moderniser ou mourir, l’hôtellerie
ses ou étrangères. De manière systématique, c’est l’expérience et curitaire. Les nouvelles technologies installées ont aussi fait l’objet fert de technologie ne peut toutefois pas être qualifiée de pionnière. de luxe est plus que jamais confrontée à ce dilemme.
la renommée de l’entreprise qui constituent le critère de choix de contrôles réguliers. Les chaudières sont notamment inspectées Contrairement à certains établissements de la Riviera lémanique,
décisif. Il s’agit de se prémunir contre les pannes et les accidents. par une société indépendante, tandis que l’ascenseur est systéma- qui se sont positionnés à la pointe du progrès, jouant sur la portée
Dans le domaine du chauffage, le Beau-Rivage collabore sur le tiquement révisé par le mécanicien du Beau-Rivage. En 1898, publicitaire de l’innovation, le Beau-Rivage s’est cantonné dans
long terme avec la firme Sulzer de Winterthour : « MM de Crousaz il est décidé d’engager un technicien externe pour effectuer le une attitude faite de prudence et de sagesse. Évitant de s’exposer au
67
et Dapples préavisent en faveur de la maison Sulzer, vu la grande confiance suivi des engins potentiellement dangereux . Cette politique de risque d’un transfert de technologie rapide, l’hôtel s’est contenté
qui peut lui être accordée par ses travaux antérieurs; la maison Ruef, beau- prévention semble avoir porté ses fruits, puisque le seul accident d’un rôle de « suiveur », introduisant les nouveautés après qu’elles
coup plus récente, n’a pas à son actif autant d’ouvrages absolument réussis. mentionné dans les procès-verbaux concerne l’omnibus du voi- aient été expérimentées par d’autres établissements. Dans le cas
Avec la maison Sulzer, nous sommes plus sûrs d’être servis d’une manière turier Jules Perrin, dans lequel la responsabilité du Beau-Rivage de l’éclairage électrique, le délai de latence a ainsi duré plus d’une
parfaite et dans le délai promis de deux mois et demi. La différence de prix n’est pas engagée. Plusieurs assurances sont toutefois contractées décennie. Parfois excessive, la stratégie de prudence a occasionné
ne saurait modifier ce préavis . » pour couvrir les conséquences d’éventuels accidents. En 1898, le quelques désagréments. À peine la construction du Palace achevée,
63
Il en est de même avec les Ateliers d’Oerlikon, qui fournis- conseil d’administration décide notamment de participer à une la nécessité de construire de nouvelles installations téléphoniques
sent tous les équipements électriques. Quant aux ascenseurs et aux assurance collective conclue entre la Winterthur et la Société et sanitaires se faisait déjà sentir, occasionnant des coûts évitables.
monte-charges, il est intéressant de constater une réorientation suisse des hôteliers . Manquant parfois de perspectives visionnaires, qui leur auraient
68
du choix de la technologie, à l’origine française (Edoux à Paris) permis d’anticiper, les administrateurs ont souvent été confrontés
et italienne (Stiegler à Milan), vers l’industrie suisse (Schindler à BEAU-RIVAGE PALACE ET MODERNISATION à des situations d’urgence, obligés de réagir sous la menace des
Lucerne). Jusqu’au premier conflit mondial, le critère de l’excel- TECHNIQUE : LA PRUDENCE EST LA MEILLEURE avancées techniques de la concurrence.
lence demeure toutefois plus important que la préférence régionale CONSEILLÈRE ! La prudence a régi non seulement le choix des équipements
ou nationale. En 1910, l’appareil d’aspiration des poussières de la Durant la période qui court de l’ouverture du Beau-Rivage mais aussi l’attribution des travaux. En privilégiant des dispositifs
firme allemande Siemens est ainsi préféré à celui de Sulzer. à la Première Guerre mondiale, les instances dirigeantes de la sio déjà éprouvés et des entreprises extérieures à la région, les diri-
Constatons enfin que les administrateurs du Beau-Rivage ont ont dû faire face à une évolution technologique rapide et à un geants de la sio ont très peu stimulé le développement technique
développé une conscience du risque technologique de manière pré- changement fondamental des standards d’hygiène et de confort de l’arc lémanique. Certes, la contribution de certains adminis-
64
coce . Dès 1887, Ernest Correvon-Mercier intervient pour que la exigés par la clientèle. Globalement, les administrateurs ont fait trateurs au transfert de technologies de transport doit être souli-
sécurité soit assurée de manière optimale : « Il appelle cependant l’at- preuve d’une capacité d’adaptation remarquable, parvenant à mo- gnée ; c’est notamment le cas pour l’introduction du funiculaire
tention du Conseil sur les dangers des ascenseurs. Il ne conçoit un ascenseur biliser les compétences techniques et les capitaux nécessaires pour à câble en Suisse. Cet exploit s’est toutefois réalisé au détriment
qu’avec garantie du fabricant contre toutes les suites des accidents qui pour- relever le défi. À la veille du conflit mondial, la distribution d’un d’un projet plus innovant, qui était mené dans le domaine de la
raient se produire dans l’exploitation de cet ascenseur et cela pendant dix dividende de 30% témoigne de la conjoncture touristique fabu- traction pneumatique par les ingénieurs lémaniques. Accordant
ans au moins. Il rappelle les accidents qui se sont produits aux ascenseurs du leuse qui caractérise la Belle Époque, mais cet exploit est aussi le beaucoup d’importance à la dimension sécuritaire, les dirigeants
Tab. 2
Évolution de la situation financière de la Société Immobilière d’Ouchy entre 1862
et 1913. Axe de gauche : produit brut de l’hôtel et profit (bénéfice avant
amortissement) en francs suisses courants. Axe de droite : dividende distribué
en pourcents de la valeur des actions.
Produit brut en francs / Profit en francs / Dividende en %.
98 99