Page 99 - Livre Beau-Rivage Palace
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 1862  1865  1868  1871  1874  1877  1880  1883  1886  1889  1889  1892  1895  1898  1901  1904  1907  1910  1913
 de la buanderie est confiée à la firme dirigée par Jules Duvillard,  Grand Hôtel de Vevey et de l’hôtel Brenner; dans le premier de ces accidents,   fruit de la stratégie de modernisation technique efficace menée par   de l’entreprise ont ainsi renoncé à une prise de risque qui leur
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 membre de la Société vaudoise des ingénieurs et architectes et ac-  une dame a eu la cuisse cassée . »   l’établissement. Alors que certaines voix, apeurées par la crise des   aurait permis de se profiler et de jouer un rôle plus en vue.
 tionnaire de la sio.     Au cours des deux décennies suivantes, la mécanisation et   années 1870 et 1880, prônaient la fermeture de l’hôtel durant la      Arrivé au terme de la saga technique du Beau-Rivage Palace,
    En règle générale, la collaboration avec les entreprises ré-  l’électrification de l’hôtel augmentent les risques d’accident aux-  période hivernale, ou encore le déclassement du Beau-Rivage, les   force est de constater l’importance que la maîtrise du progrès tech-
 gionales demeure toutefois limitée, soit qu’elles n’offrent pas les   quels la clientèle et le personnel sont exposés. En 1919, l’établis-  esprits les plus audacieux ont préféré la voie de l’investissement et   nique a joué dans la « success story » de cet hôtel. À l’heure de l’in-
 compétences nécessaires, soit que leur savoir-faire est jugé insuffi-  sement possède pas moins de 24 moteurs dans ses différents ser-  du changement, réussissant à maintenir le Beau-Rivage à son statut   formatique, d’Internet et des énergies renouvelables, il n’est pas sans
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 sant. À plusieurs reprises, des entreprises lausannoises et genevoi-  vices . Cet accroissement du risque a néanmoins pu être maîtrisé   de premier rang.  intérêt de se remémorer la capacité d’adaptation dont ont fait preuve
 ses sont ainsi écartées au profit de firmes plus prestigieuses, suis-  grâce à une politique d’équipement privilégiant la dimension sé-     La stratégie des administrateurs de l’hôtel vis-à-vis du trans-  les pionniers de la Belle Époque. Moderniser ou mourir, l’hôtellerie
 ses ou étrangères. De manière systématique, c’est l’expérience et   curitaire. Les nouvelles technologies installées ont aussi fait l’objet   fert de technologie ne peut toutefois pas être qualifiée de pionnière.  de luxe est plus que jamais confrontée à ce dilemme.
 la renommée de l’entreprise qui constituent le critère de choix   de contrôles réguliers. Les chaudières sont notamment inspectées   Contrairement à certains établissements de la Riviera lémanique,
 décisif. Il s’agit de se prémunir contre les pannes et les accidents.  par une société indépendante, tandis que l’ascenseur est systéma-  qui se sont positionnés à la pointe du progrès, jouant sur la portée
 Dans le domaine du chauffage, le Beau-Rivage collabore sur le   tiquement révisé par le mécanicien du Beau-Rivage. En 1898,   publicitaire de l’innovation, le Beau-Rivage s’est cantonné dans
 long terme avec la firme Sulzer de Winterthour : « MM de Crousaz   il est décidé d’engager un technicien externe pour effectuer le   une attitude faite de prudence et de sagesse. Évitant de s’exposer au
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 et Dapples préavisent en faveur de la maison Sulzer, vu la grande confiance   suivi des engins potentiellement dangereux . Cette politique de   risque d’un transfert de technologie rapide, l’hôtel s’est contenté
 qui peut lui être accordée par ses travaux antérieurs; la maison Ruef, beau-  prévention semble avoir porté ses fruits, puisque le seul accident   d’un rôle de « suiveur », introduisant les nouveautés après qu’elles
 coup plus récente, n’a pas à son actif autant d’ouvrages absolument réussis.  mentionné dans les procès-verbaux concerne l’omnibus du voi-  aient été expérimentées par d’autres établissements. Dans le cas
 Avec la maison Sulzer, nous sommes plus sûrs d’être servis d’une manière   turier Jules Perrin, dans lequel la responsabilité du Beau-Rivage   de l’éclairage électrique, le délai de latence a ainsi duré plus d’une
 parfaite et dans le délai promis de deux mois et demi. La différence de prix   n’est pas engagée. Plusieurs assurances sont toutefois contractées   décennie. Parfois excessive, la stratégie de prudence a occasionné
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 ne saurait modifier ce préavis . »  pour couvrir les conséquences d’éventuels accidents. En 1898, le   quelques désagréments. À peine la construction du Palace achevée,
    Il en est de même avec les Ateliers d’Oerlikon, qui fournis-  conseil d’administration décide notamment de participer à une   la nécessité de construire de nouvelles installations téléphoniques
 sent tous les équipements électriques. Quant aux ascenseurs et aux    assurance collective conclue entre la Winterthur et la Société   et sanitaires se faisait déjà sentir, occasionnant des coûts évitables.
 monte-charges, il est intéressant de constater une réorientation   suisse des hôteliers .  Manquant parfois de perspectives visionnaires, qui leur auraient
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 du choix de la technologie, à l’origine française (Edoux à Paris)   permis d’anticiper, les administrateurs ont souvent été confrontés
 et italienne (Stiegler à Milan), vers l’industrie suisse (Schindler à    BEAU-RIVAGE PALACE ET MODERNISATION   à des situations d’urgence, obligés de réagir sous la menace des
 Lucerne). Jusqu’au premier conflit mondial, le critère de l’excel- TECHNIQUE : LA PRUDENCE EST LA MEILLEURE   avancées techniques de la concurrence.
 lence demeure toutefois plus important que la préférence régionale   CONSEILLÈRE !     La prudence a régi non seulement le choix des équipements
 ou nationale. En 1910, l’appareil d’aspiration des poussières de la      Durant la période qui court de l’ouverture du Beau-Rivage   mais aussi l’attribution des travaux. En privilégiant des dispositifs
 firme allemande Siemens est ainsi préféré à celui de Sulzer.  à la Première Guerre mondiale, les instances dirigeantes de la sio   déjà éprouvés et des entreprises extérieures à la région, les diri-
    Constatons enfin que les administrateurs du Beau-Rivage ont   ont dû faire face à une évolution technologique rapide et à un   geants de la sio ont très peu stimulé le développement technique
 développé une conscience du risque technologique de manière pré-  changement fondamental des standards d’hygiène et de confort   de l’arc lémanique. Certes, la contribution de certains adminis-
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 coce . Dès 1887, Ernest Correvon-Mercier intervient pour que la   exigés par la clientèle. Globalement, les administrateurs ont fait   trateurs au transfert de technologies de transport doit être souli-
 sécurité soit assurée de manière optimale : « Il appelle cependant l’at-  preuve d’une capacité d’adaptation remarquable, parvenant à mo-  gnée ; c’est notamment le cas pour l’introduction du funiculaire
 tention du Conseil sur les dangers des ascenseurs. Il ne conçoit un ascenseur   biliser les compétences techniques et les capitaux nécessaires pour   à câble en Suisse. Cet exploit s’est toutefois réalisé au détriment
 qu’avec garantie du fabricant contre toutes les suites des accidents qui pour-  relever le défi. À la veille du conflit mondial, la distribution d’un   d’un projet plus innovant, qui était mené dans le domaine de la
 raient se produire dans l’exploitation de cet ascenseur et cela pendant dix   dividende de 30% témoigne de la conjoncture touristique fabu-  traction pneumatique par les ingénieurs lémaniques. Accordant
 ans au moins. Il rappelle les accidents qui se sont produits aux ascenseurs du   leuse qui caractérise la Belle Époque, mais cet exploit est aussi le   beaucoup d’importance à la dimension sécuritaire, les dirigeants

 Tab. 2
 Évolution de la situation financière de la Société Immobilière d’Ouchy entre 1862
 et 1913. Axe de gauche : produit brut de l’hôtel et profit (bénéfice avant
 amortissement) en francs suisses courants. Axe de droite : dividende distribué
 en pourcents de la valeur des actions.
 Produit brut en francs / Profit en francs / Dividende en %.
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