Page 15 - Livre Beau-Rivage Palace
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thé ou de la promenade, comme à Nice ou à Monte-Carlo. Et si, chez nous, Or, plus que tout autre lieu public, l’hôtel est soumis à de per-
les rues étaient méticuleusement balayées et entretenues, si jamais un papier pétuels changements. À sa tête, les directeurs et les conseils d’ad-
gras ou une boîte de conserve vide ne traînait sur la chaussée, c’était pour ministration se succèdent qui réorganisent, déplacent en fonction
que rien n’offusque leurs yeux ou leurs narines, ni ne leur inspire la plus de critères divers (fig. 4 et 5). Ces figures de la métamorphose per-
légère critique ou le plus infime regret d’être venus à Montreux dépenser pétuelle servent aussi à asseoir un pouvoir et à affirmer une vision
leur précieux argent. Mais que de serviteurs de tous genres il fallait engager de la gestion de ces « paquebots de la ville », pour reprendre l’image
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pour que tous les étrangers soient vraiment satisfaits ! C’est ce que mon père de Léon-Paul Fargue ou de Pierre Sansot . Cela se traduit par un
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appelait ‹ la grande armée des Suisses au service de l’étranger › . » effacement progressif de la substance des bâtiments, en particulier
Si le tournant des xix et xx siècles marque l’apex de la celle des aménagements intérieurs et des décors, dont Catherine
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construction des grands hôtels, il est aussi l’époque des remises en Schmutz et Fabienne Hoffmann révèlent la richesse et la fragilité.
question, c’est ce que décrit Roland Flückiger-Seiler. Prenons le Après un siècle environ de transformations intempestives, l’idée
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texte que Georges de Montenach prononce devant le iv congrès se fait peu à peu jour que l’histoire de l’établissement, son passé,
d’Art Public à Bruxelles en octobre 1910 : « … il est nécessaire d’arrê- même s’ils sont pensés en termes de marketing, sont une plus-
ter l’invasion des hôtels, vastes caravansérails cosmopolites qui se multiplient value identitaire et culturelle à laquelle les hôtes sont parfois sensi-
précisément dans les plus beaux sites, auxquels ils enlèvent, par leur seule bles, sans pour autant qu’ils renoncent au confort et aux dernières
présence, toute valeur d’ensemble, écrasant par leurs dimensions mal compri- innovations techniques ! « Les constructions hôtelières les plus importantes
ses, leur élévation exagérée, les centres campagnards où ils sont situés et dé- sont en quelque sorte le ‹ portrait construit › des phases heureuses et moins
truisant à jamais leur charme. Il importe que l’industrie hôtelière revienne heureuses qui ont marqué notre pays. Si on sait les écouter, elles racontent avec
à de meilleures traditions architecturales et s’efforce de concilier les exi- beaucoup de précision leur histoire mais aussi l’histoire du pays tout entier.
gences des touristes modernes avec le respect de la physionomie générale Agissons de façon à ce que cette histoire ne soit pas effacée », c’est en ces
des localités, afin d’éviter des ruptures brutales, productrices de laideurs termes que l’architecte Aurelio Galfetti conclut son exposé lors de la
irrémédiables, qu’on peut constater dans nos paysages les plus classi- remise du prix icomos « Hôtel historique de l’année 1999 » décerné au
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ques . » Le plaidoyer de Montenach, qui est aussi celui de Philippe Beau-Rivage Palace. Ces transformations incessantes, il est possible
Godet, de Guillaume Fatio, de l’architecte Charles Melley et de de les suivre dans les seules vicissitudes d’un bar de l’hôtel construit
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bien d’autres, vise une cible doublement négative : d’une part, le en 1938, modifié à plusieurs reprises, et définitivement supprimé en
capitalisme, dont les ouvrages techniques, les fabriques, les ca- 1955. Si l’on partage avec Joseph Roth ou Vicki Baum l’idée que
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sernes locatives, les palaces, les gares, les casinos ruinent la ville l’hôtel est l’image même de la société, qu’il est un « petit pays », un
et le paysage, d’autre part le cosmopolitisme dont les tendances « résumé du monde », alors les bouleversements qui l’ébranlent pren-
révolutionnaires, le mépris du passé mettent en péril l’idéal pa- nent une autre signification, comme au Colon de Barcelone où se
triotique et identitaire de la Suisse. « joue » un acte de la révolution espagnole de 1936 : « … Comme si,
Une des notions les plus présentes dans les Livres d’or de l’hô- en dehors du repos des milliardaires fatigués, les grands hôtels n’avaient été
tel est certainement le caractère intemporel du lieu, le fait qu’il soit conçus que pour être périodiquement réquisitionnés par des gouvernements
comme suspendu hors du temps : « The Beau-Rivage hasn’t changed plus ou moins provisoires, et leurs baignoires occupées alternativement par
in 54 years » écrit en 1991 un hôte enthousiaste. Ce refus de la les corps épilés des riches Argentines et les dossiers de police .»
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temporalité est aussi, en quelque sorte, l’argument de la nouvelle Alors que la façade néo-classique du premier Beau-Rivage, édi-
inédite de Michel Braudeau dans le recueil inséré dans cet ouvrage. fié au nord d’une parcelle plantée donnant sur le lac était, à l’origine,
Fig. 5
Le hall du Beau-Rivage sous échafaudages
durant les grands travaux de 1997-2000.
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