Page 12 - Livre Beau-Rivage Palace
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à l’architecteThéophile van Muyden (1896), on ambitionne un du touriste, la servilité et/ou la roublardise de l’amphitryon… Re-
agrandissement plus volumineux qui sera confié à Eugène Jost, gardons les caricatures de Hieronymus Hess, relisons les textes de
Louis Bezencenet et Maurice Schnell (1901-1908). Le contexte Rodolphe Töpffer qui en 1834 déjà résume l’aporie de la décou-
qui entoure ce grand chantier mérite d’être exploré car il met en verte et anticipe l’impasse du tourisme en ces termes : « Celui qui
évidence les variables du problème (construire un hôtel : pour qui, […] pénètre le premier dans des vallées ignorées [découvre mille traits]
où, de quelle forme ?) et la manière de les résoudre. En outre, l’étu- déjà ternis lorsqu’on les remarque, perdus lorsqu’on les admire . » Ou les
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de formelle de l’édifice permet de cerner le cadre culturel dans propos caustiques d’Alphonse Daudet qui dans Tartarin sur les Al-
lequel cette architecture s’inscrit. Trop souvent décrit comme un pes brocarde le grégarisme et l’aventure aménagée : « Un moment
style d’opérette, l’expression Beaux-Arts employée pour le palace il regarda l’hôtel [Rigi-Kulm] et ses dépendances, stupéfait de trouver
se révèle pourtant d’une richesse sémantique plus proche du à deux mille mètres au-dessus de la mer une bâtisse de cette importance,
Gesamtkunstwerk wagnérien que d’une saynète de Kursaal. Tant des galeries vitrées, des colonnades, sept étages de fenêtres et le large perron
l’article d’Éléonore Rinaldi que ceux de Catherine Schmutz et s’étalant entre deux rangées de pots à feu qui donnaient à ce sommet de
Fabienne Hoffmann démontrent que, dans le registre des arts ap- montagne l’aspect de la place de l’Opéra par un crépuscule d’hiver […].
pliqués et décoratifs, comme dans celui du gros œuvre, le chantier L’éblouissement des lumières, la chaleur du gaz, des calorifères, en contraste
du Palace permet de vérifier combien sont forts les réseaux d’in- avec le froid noir du dehors, puis cet appareil somptueux, ces hauts plafonds,
terconnaissances autant que les habitudes de collaboration entre les ces portiers chamarrés avec ‹ regina montium › en lettres d’or sur leurs cas-
architectes et les entreprises réalisantes, entre les artisans eux-mêmes, quettes d’amiraux, les cravates blanches des maîtres d’hôtel et le bataillon
et qu’ils infléchissent les choix à tous les niveaux. des Suissesses en costumes nationaux accouru sur un coup de timbre, tout
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Dans les années cinquante notamment, l’hôtel fait l’acquisi- cela l’étourdit … »
tion de tapisseries anciennes dont les scènes galantes, champêtres C’est encore Alice Rivaz qui, évoquant son enfance à Mon-
ou épiques sont étudiées dans cet ouvrage par Nicole de Reyniès. treux, les promenades en famille sur le quai où « des hôtels se dres-
Leur rôle n’est pas seulement décoratif : elles ennoblissent les lieux saient partout sur notre passage et même les maisons qui n’en étaient
et participent de ce transfert de sens et de symboles qui rappelle pas avaient fini par leur ressembler », et qui fait ressortir le caractère
que le palace, outre une proximité étymologique, tend parfois à se aliénant de l’industrie du tourisme : « Car recevoir les étrangers, les
confondre avec le palais. héberger, les nourrir chaque jour que Dieu fait, donnait beaucoup de travail,
L’ensemble des deux bâtiments, étonnant mélange stylistique, et nombreux étaient les gens de chez nous occupés du matin au soir à les
sert aussi une image de marque, il est un support de communi- servir, à ouvrir et fermer les portes sur leur passage, à placer partout à por-
cation, un logo. C’est à ce titre qu’il figure comme en-tête du tée de leurs mains, de leurs yeux, tout ce qui pouvait leur être agréable. Il
papier à lettre, des menus… (fig. 3) Le dessin met en exergue la fallait aussi les transporter par bateau ou par chemin de fer, les conduire où
monumentalité, grossit certains traits, fausse parfois la perspective quelque panorama grandiose avait chance de leur plaire. C’était en raison
car ces vignettes répondent d’abord à des exigences publicitaires. de leur présence parmi nous que tant de femmes de la région s’adonnaient
Cartes-réclames, cartes postales et photographies prennent ensuite à la blanchisserie et au repassage de la lingerie de luxe. S’il y avait tant de
le relais de ces lithographies avant que ne soient réalisées de vérita- bancs très propres sur les promenades publiques et le long des quais, c’était
bles plaquettes illustrées, dans les années vingt. pour leur donner la possibilité de s’asseoir au moment où ils le désiraient.
La liste est longue de ceux qui tôt critiquent la démocratisa- Et bien sûr, le beau kiosque à musique n’avait été construit qu’à leur in-
tion du voyage, la prolifération des hôtels, l’arrogance envahissante tention, afin qu’ils puissent entendre des concerts en plein air à l’heure du
L’architecture comme image de marque. Fig. 4
Vignette du papier à en-tête du directeur Ernest Schaerer, 1957. Un palier du grand escalier du Beau-Rivage durant le chantier de 1997-2000.
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