Page 215 - Livre Beau-Rivage Palace
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LE PALACE: UNE ARCHITECTURE mentionnent à plusieurs reprises la volonté de conserver, voire semble très en faveur dans le chef-lieu vaudois et il n’est donc pas
étonnant qu’on pense à lui pour ces travaux. Détrôné dans certains
d’amplifier la part des Français dans l’établissement. Hasard ou stra-
FASTE ET SAVANTE tégie commerciale, pouvant dénoter une sorte de « quartier français » domaines par de nouveaux arrivants, il restera longtemps encore la
dans le sud de la ville ? On le verra, l’architecture du Palace fera référence en matière hôtelière, à Lausanne comme ailleurs.
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directement référence aux grands exemples hôteliers français. À Pur produit de l’École des Beaux-Arts de Paris, Jost pratique
l’ouverture du nouvel hôtel en 1908, c’est donc assez naturellement une architecture en phase avec son temps, qui répond à merveille
qu’une majeure partie de la clientèle proviendra de la république aux attentes d’une clientèle bourgeoise cosmopolite habituée à re-
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voisine ; cependant, cette recrudescence de malades à l’hôtel n’ira trouver une certaine image du luxe partout dans ses déplacements.
pas sans inquiéter la direction qui ne veut pas que l’établissement se Le projet du Palace évolue d’ailleurs en conscience des contraintes
mue en un sanatorium de luxe. Le développement contemporain découlant du confort nécessaires aux hôtes. En effet, accommoder
des cliniques et des maisons de repos permettra sans doute d’absor- l’édifice existant à de nouvelles exigences – cabinets de bains atte-
ber une partie de cette clientèle indésirable. nant aux appartements, chambres à un lit… – s’avère difficile.
Dave LÜTHI
La salle à manger devrait quant à elle être augmentée « sur la
OUCHY, UNE STATION « FRANÇAISE » ? Satellite de Lausanne, Ouchy sait user de ses charmes (le site, le LE CHANTIER ET SES PRÉPARATIFS façade au couchant [d’]une sorte de rotonde » à l’instar de ce que l’on
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Autour de 1900, le tourisme connaît un essor indéniable paysage, le climat) pour trouver son public. Toutefois, la concurren- Dès 1896, pour agrandir l’hôtel, on songe d’abord à un sur- construit alors au Grand Hôtel des Avants pour le restaurant. La
autour du Léman. Lausanne voit alors se construire, s’agrandir ou ce se fait vive autour de 1900, car, outre la multiplication des hôtels, haussement, pratique extensive qui a pour avantage, dans le cas façade serait entièrement reprise en style Louis xv. Le chantier est
se transformer plusieurs dizaines d’établissements hôteliers . Les il faut aussi compter avec les autres stations régionales (Montreux, précis, de permettre un nouveau silhouettage de l’édifice afin de devisé à plus d’un demi-million de francs, pour cent lits supplé-
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établissements situés en ville sont prévus d’abord pour un public Évian, notamment) en plein développement. Chacune avancera un contrer les assauts pittoresques du Château d’Ouchy récemment mentaires. L’ampleur de l’investissement et les difficultés de l’en-
d’affaires, alors que les édifices en marge de l’agglomération sont argument particulier pour attirer et fidéliser sa clientèle : si Évian inauguré. Théophile van Muyden (1848-1917) produit plusieurs treprise (il faudrait fermer l’hôtel durant les travaux) fait réfléchir
plutôt destinés à un public oisif de touristes aisés se déplaçant de peut compter sur les vertus de ses eaux, Montreux mise en revan- projets « à la française » avec toitures en pavillon ou à la Mansart, le comité qui, peu à peu, se fait à l’idée de construire une annexe à
station en station selon les saisons. Le bas de la ville est investi par che sur le tourisme de montagne en construisant en hauteur (Les cheminées bichromes et lucarnes à frontons (voir élévations p. 68 côté du Beau-Rivage. En 1903, le conseil d’administration discute
l’hôtellerie au tournant du siècle notamment ; un véritable front Avants, Caux). Toutefois, il ne faut pas uniquement raisonner en et 206-209) ; à la demande de Marc Morel, le conseil lui adjoint de cette question, dont les problèmes majeurs sont la difficulté
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hôtelier se crée sur le double amphithéâtre formé par le rivage termes de concurrence économique, mais également de complé- Eugène Jost (1865-1946) en 1901 pour mener à bien ce projet qui d’acquérir du terrain et d’organiser le service. On estime en effet
de part et d’autre du château d’Ouchy – lui-même transformé en mentarité, d’émulation, voire de collaboration. Au sein même du tarde à se réaliser. Bien qu’architecte-conseil de la sio , van Muy- que l’espace entre le bâtiment de 1861 et l’Hôtel d’Angleterre
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hôtel en 1893 – avec l’Hôtel Beauregard, près de la campagne des Beau-Rivage , la présence du banquier Marc Morel au poste d’ad- den n’est pas très aguerri à l’architecture hôtelière ; on le connaît est trop restreint et que cette solution n’est « pas ce que l’on pourrait
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Cèdres (1909) , le Carlton (1906) à la Croix d’Ouchy, le Royal ministrateur est révélateur du réseau qui lie les différents établis- surtout pour ses restaurations de monuments historiques. Jost, en rêver de mieux » ; en revanche, une nouvelle aile à cet emplacement
Savoy (1909) et le Meurice (1915) à l’avenue d’Ouchy et l’Hô- sements régionaux . N’étant pas considéré par les savants comme revanche, est alors renommé comme spécialiste en la matière . permettrait de placer la cuisine et les offices entre les deux édifices,
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tel du Parc à Ouchy (1906). Si l’on ajoute à cet ensemble déjà une station sanitaire , Ouchy doit se profiler auprès d’une autre Lorsqu’il est approché pour le Beau-Rivage, il compte à son actif au sous-sol, situation pratique pour le service. Cette disposition
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conséquent les nombreuses pensions et, aussi, les cliniques clientèle que les stations voisines ; pourtant, dans les faits, même si plusieurs chantiers prestigieux à Montreux, dont les hôtels Riche- contraint cependant les clients à traverser la salle à manger sise
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privées qui fleurissent alors dans le même secteur , on se rend la réclame ne vante pas particulièrement le climat de l’endroit, de lieu, de l’Europe, National et le Caux-Palace, alors en construction. au-dessus de ces dépendances pour joindre l’autre aile de l’établis-
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compte de l’emprise prépondérante du tourisme – qu’il soit oisif nombreux malades descendront au Beau-Rivage au tournant du Le Beau-Rivage constituera, avec l’Hôtel des Alpes de Territet et sement, ce qui n’est guère admissible ; dans une situation similaire,
ou curatif – sur tout le quartier. Des infrastructures diverses per- siècle pour consulter de célèbres médecins et chirurgiens lausan- le Montreux-Palace, un de ses chefs-d’œuvre. Lorsque Morel le au Grand Hôtel & Hôtel des Alpes à Territet (1904), Jost n’avait
mettent à cette zone d’être relativement indépendante (bouti- nois, tels Marc Dufour, César Roux ou, surtout, Louis Bourget et propose comme architecte, il travaille fréquemment à Lausanne, que difficilement résolu le problème par un trajet complexe, for-
ques et restaurants ; chapelles anglicane, galloise et catholique) Louis Verrey, dont les établissements sont sis à proximité. La cli- occupé par le chantier de l’Hôtel des Postes (1896-1901), la res- çant les clients à descendre puis à remonter quelques marches afin
tout en étant bien reliée à la ville et à la gare par le funiculaire nique de Verrey, Bois-Cerf, est tenue par des Françaises, les sœurs tauration du château Saint-Maire (1898-1900) et le projet de salle d’emprunter un promenoir situé sous la salle et, ainsi, d’éviter ce
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Lausanne-Ouchy. de la Trinité . Au même moment, les archives du Beau-Rivage du Grand-Conseil (1898) : au tout début du xx siècle, l’architecte lieu. La disposition d’une aile à l’est serait cependant encore moins
Vue plongeante sur l’ensemble Beau-Rivage et Palace.
Le socle commercial qui précède celui-ci ainsi que les salles communes
qui articulent les deux bâtiments sont bien visibles.
Carte postale, vers 1950.
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