Page 306 - Livre Beau-Rivage Palace
P. 306

Fig. 1

                       UNE AMÉRICAINE AU BEAU-RIVAGE:

                                               HELEN McCANN















                                                 Evelyne LÜTHI-GRAF. Philippe VISSON

              On pouvait jadis rencontrer trois types de clients dans un  American  tax  payers ! » C’est d’ailleurs à la même époque que
         Palace : le migrateur, qui égrenait ses jours en choisissant tel ou tel   F. Scott Fitzgerald ou Ernest Hemingway sillonnent l’Europe, à
          lieu pour telle ou telle activité, le saisonnier, qui cultivait son séjour   la recherche de leur identité littéraire ou journalistique. L’univers
          d’année en année en donnant rendez-vous d’un lieu à l’autre, le   du Beau-Rivage n’a alors rien à envier au monde de Gatsby le
          résident, qui transformait sa chambre en domicile fixe, prenait des   magnifique… (fig. 2 et 3)
          habitudes et s’enracinait dans le biotope culturel du Palace. Francis      Le premier séjour des McCann au Beau-Rivage Palace
          et Jane McCann, ainsi que leurs deux filles Helen et Frances, furent   d’Ouchy n’est d’abord qu’une étape d’une longue pérégrination
          des hôtes du troisième type (fig. 1).                   à travers différentes stations européennes à la mode, mais Francis
              Venant des États-Unis d’Amérique, les McCann arrivent au   et Jane tombent amoureux du paysage lémanique ; il devient alors
          Beau-Rivage Palace à la fin des années vingt. Issus d’une famille ca-  la résidence principale de la famille, qui partage son temps entre
          tholique irlandaise, ils vivent dans l’aisance que leur confère la for-  son appartement romain du Circus Maximus et la suite N° 400.
          tune que Jane, née Miller, a héritée de ses parents écossais. À cette   Francis est un photographe passionné, il en fait son occupation fa-
          époque, celle de la prohibition, la bonne société américaine vit   vorite laissant libre cours à ses fantaisies, traduites par de nombreux
          dans un pays gouverné essentiellement par les familles protestantes   portraits « fantômes » (fig. 4).
          qui descendent des premiers colons. Malgré leur statut de rentiers      Arrivées avant l’âge d’être scolarisées, Helen, née en 1918,
          fortunés, les McCann restent en marge des grands événements   et sa sœur Frances de deux ans sa cadette, sont suivies par des
          mondains et ne peuvent vraiment se lier d’amitié avec d’autres   tuteurs ou des précepteurs chargés de leur enseigner le calcul ou
         Américains qu’en territoire neutre, de préférence au bar d’un    la grammaire, mais c’est le Beau-Rivage qui leur tient lieu « d’aca-
          Palace. Les expatriés se mélangent aux visiteurs qui se rencontrent   démie ». L’univers particulier d’un hôtel de luxe est un terrain
          entre un cigare et un verre de whiskey, choyés par un barman   idéal de connaissance et d’apprentissage. C’est un microcosme
          qui sait reconnaître le voyageur oisif en quête d’un havre où le   constitué, d’une part, de nantis élevés par des gouvernantes et
          futile et l’agréable sont érigés en lois impérieuses ! À tel point que   des majordomes dans un écrin de luxe, à l’abri des préoccupa-
          Francis McCann saluait les nouveaux venus d’un jovial « welcome   tions bassement mercantiles de la société et, d’autre part, peuplé

          Francis McCann près du poste TSF installé dans sa chambre du Beau-Rivage.  Fig. 2
          Photographie non datée.                                 Francis McCann entouré de ses filles Helen et Frances,
                                                                  silhouettes de papier découpé contrecollées sur du bois, vers 1932.


          306
   301   302   303   304   305   306   307   308   309   310   311