Page 309 - Livre Beau-Rivage Palace
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Fig. 3  Fig. 4   Fig. 5                                                  Fig. 6

 d’une horde d’employés plus ou moins serviles, qui cultivent avec      Helen a un réel talent : son coup de crayon, ou plutôt, son   qu’elle fait transformer par l’architecte Jack Cornaz. En date du 31
 cynisme la répartie diplomatique, tout en gâtant secrètement les   coup de ciseau… Habile découpeuse et fine observatrice de la   octobre 1959 elle note dans son carnet : « je quitte le B.R. ! ! ! » et le
 fillettes de sucreries et en fermant les yeux sur les traces de vélo   faune qui hante le Palace dans les années trente, elle croque, coupe   11 août 1961 elle prend possession de « Beau-Rêve ».
 dans les pelouses.   et colle les portraits des résidents ou des clients occasionnels. Elle      Quelques semaines avant son décès survenu en 1998, Helen
    La lecture occupe une place importante dans la vie quoti-  leur donne même des surnoms ou des sobriquets en fonction de   McCann a la lucidité de comprendre la valeur historique de ses ar-
 dienne. Frances lit les auteurs américains, alors qu’Helen reste in-  leurs habitudes, de leurs manies, de leur personnalité. Va naître ainsi   chives personnelles. Constituées essentiellement de photographies
 conditionnelle des biographies royales, suivant de près les familles   une série de caricatures qui revit pour la première fois dans cet   et de souvenirs de famille, de bobines de films et de la série des ca-
 régnantes de Roumanie ou de Yougoslavie (fig. 5).   ouvrage (fig. 7).   ricatures, celles-ci sont remises à un ami de longue date qui les dé-
    Elle se lie d’amitié avec certains d’entre elles ; lorsqu’elle aura      Sont-ce les silhouettes découpées que son père réalisait ou   pose dans deux institutions publiques de conservation, afin qu’elles
 quitté l’hôtel en 1959, elle hébergera d’ailleurs régulièrement des   est-ce le découpage de corbeaux signé par Édouard-Marcel Sandoz   soient préservées  de  la destruction  ou  de l’oubli…  Il  perpétue
 exilés dans sa maison de Pully après la révolution communiste de   en 1931 retrouvé dans les archives d’Helen qui sont à l’origine de   ainsi la mémoire de celle qui fut sa grande amie et sa confidente
 l’Europe de l’Est. Car Helen ne quitte le palace que le 31 octobre   son passe-temps ? La question reste ouverte.  lorsqu’il était lui-même un petit garçon, courant dans les couloirs
 1959 à l’âge de 41 ans après avoir passé les années les plus marquan-     La caricature n’est pas son unique expression artistique. Helen   du Beau-Rivage Palace à la recherche d’un temps révolu…
 tes de sa vie à l’hôtel.  manie le pinceau de l’aquarelliste. Elle expose la première fois huit
    Les fillettes sont intégrées à la bonne société lausannoise et   œuvres aux côtés de son professeur, l’exilé russe Alexis Chiriaeff,
 leur éducation comprend aussi la pratique des arts. En juin 1937,  entre le 16 et le 31 octobre 1943, dans l’ancien Cercle Beau-Séjour.
 Helen prend sa première leçon de violoncelle avec Jean Décosterd   Une coupure de presse non datée, archivée par elle, commente :
 à  l’Institut  de  Ribaupierre.  C’est  une  révélation.  Elle  étudiera  et  « Helen McCann [présente] quelques vues aquarellées de nos jardins et de
 jouera toute sa vie sur un instrument précieux. Le 24 juin 1939,  notre lac, remarquables aussi bien par les dons sensibles que par la modestie
 un samedi, première leçon avec un quatuor exclusivement féminin !   dont elles témoignent. »
 Dans son carnet d’adresses, sous la rubrique Special Record, Helen      L’arrivée d’une nouvelle direction au Beau-Rivage sonne
 note la date du 4 juillet 1939 qui marque l’arrivée de Pascal et de   le glas du séjour d’Helen en ses murs. Elle note dans son carnet :
 Musette, les deux caniches noirs qui feront sa joie et son quotidien.  « Arrivée ce soir mardi 27 avril 1954 de M. et Mme Schaerer, nouveau
 Pour sa sœur Frances c’est le jour où son fiancé se déclare !  directeur à Beau-Rivage. Départ de M. et Mme Muller le 30… et fin
    Car l’autre passion d’Helen, ce sont les chiens. La famille bala-  d’une belle époque ! ! ! ». Helen ne supportait pas le changement. Elle
 dait déjà un vieux scottish terrier répondant au nom de Laddie que   se sentait la « gardienne » du Beau-Rivage. Elle en aimait les tradi-
 le sculpteur Édouard-Marcel Sandoz immortalise. Cette sculpture   tions et pour elle, la nourriture banale de l’hôtel était la « meilleure »
 en bronze patiné trônera longtemps après sa mort dans le salon de la   possible ! Après le décès de sa mère en 1941 déjà, avec son père dé-
 suite N° 400, plus tard chambre N° 450 (voir fig. 7, p. 16).  sorienté ensuite, puis seule, Helen habite la chambre de ses parents.
    Un événement va bouleverser la vie d’Helen et marquer les   Elle y vit longtemps comme dans un mausolée.
 prémices de son émancipation du Beau-Rivage. Le 25 mars 1957      Peu à peu elle coupe le cordon ombilical qui la lie à l’hôtel. En
 à quatorze heures, Pascal, son fidèle caniche de 17 ans et 10 mois   février 1957, le décès d’Ernest Schaerer et son remplacement par
 devenu vieux et aveugle, chute malencontreusement du balcon   un directeur formé à l’américaine la poussent au départ définitif. En
 de sa chambre. Cet accident inspire un trait d’esprit à une autre   mai 1959 elle fait l’acquisition d’une maison à Pully par l’intermé-
 er
 résidente de l’hôtel, qui note malicieusement : « it’s raining cats and   diaire d’une agence immobilière de la place. Le 1  juin 1959 elle de-
 dogs… » (fig. 6).  vient propriétaire de la villa Hauterive, au chemin de Chamblandes,

 La famille McCann. Dessin signé Santry.  Portrait fantôme de et par Francis McCann.   Francis McCann, photographie prise au pied de l’escalier du salon Savoie,   [Helen McCann ?], Rencontre près des serres du Beau-Rivage Palace,
 On peut lire dans le phylactère sortant de la gueule du chien : « Here we are again   Photographie non datée.  lors du mariage princier entre la princesse Dolorès de Bourbon et le prince Auguste   vers 1955.
 in li’lle old New York where a laddie can get a scotch when he wants it?!!!? »  Czartorisky, vers 1937.
 Le père en photographe, les bagages, le drapeau américain, le scottisch-terrier…   Fig. 7 >
 Ce dessin résume, en la caricaturant, cette famille qui résida quelques   Helen McCann, Le comte Piezdietzki et Ivan.
 décennies au Beau-Rivage.                                                Dessin aquarellé, découpé et collé sur fond bleu, non daté.
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