Page 356 - Livre Beau-Rivage Palace
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HANS CHRISTIAN ANDERSEN, 3 francs et n’est pas extraordinaire. » Et de poursuivre, non sans quel- pension « de Mme de Pallins » à « Crin en bas de Montreux », où il
En 1862, Andersen passa, avec des amis, ses vacances à la
une chambre donnant sur le lac. La table d’hôtes de quatre heures coûte
UN ÉCRIVAIN VOYAGEUR À LAUSANNE que vanité : « Ma chambre est précisément celle qu’avait l’épouse du reçut, le 18 août, la visite de son ami Jules Jürgensen en séjour avec
prince de Joinville , mon lit est aussi celui dans lequel elle est censée avoir sa famille « au nouveau Grand Hôtel Beau-Rivage » à Ouchy.
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dormi cette fois-là. A quelques chambres de la mienne, au même étage (le Après avoir consacré deux mois et demi à parcourir l’Alle-
premier), dans l’angle vers Chillon, Byron a habité et écrit son Prisoner magne, les Pays-Bas, la Belgique et la France, Andersen s’arrêta à
of Chillon. Elle n’est pas plus grande que la mienne mais elle a une Dijon la nuit du 19 mai 1868. Le lendemain à deux heures, il prit
toute petite entrée qui est prise sur la chambre, laquelle, de la sorte, est le train pour Pontarlier et atteignit Neuchâtel vers onze heures du
plus petite que la mienne […]. L’hôtel est petit mais gentil, les escaliers soir. « Voyage angoissant dans l’obscurité à travers les montagnes », nota-
pourvus de tapis, le haut escalier extérieur couvert de verdure et de fleurs, t-il dans son Journal. Le 23, il partit pour Genève où l’attendait
en particulier du myrte et du grenadier. Pour le soir, il y a du gaz dans Jules Jürgensen. Le 1 juin, il monta à deux heures sur le bateau à
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la lanterne, cela a un air festif, mais elle n’éclaire que la verdure, elle vapeur L’Aigle : « L’air était assez frais, le lac faisait de grosses vagues. Il
Aase et Pierre-Antoine GOY-HOVGAARD
n’atteint pas le lac qui s’étend dans le crépuscule avec les montagnes. » était un peu plus de 5 heures lorsque j’ai atteint Ouchy et suis descendu au
Au cours de sa vie, l’écrivain danois Hans Christian Andersen En 1860, Andersen était un écrivain célèbre, pour ses Contes Le 15 août, par un temps beau et chaud, Andersen monta à nouveau Grand Hôtel Beau-Rivage. Eus une chambre au troisième étage
(1805-1875) fit une trentaine de voyages hors du Danemark. Il fut, notamment, qu’il publiait régulièrement depuis 1835 et qui Lausanne par l’omnibus, se fit raser chez le barbier et passa chez un du côté de Genève. Ai mangé à la table d’hôte. L’orchestre donnait de la
pour l’époque, un très grand voyageur, séjournant en tout, sur les connurent un succès immédiat. Il entra en Suisse à Romanshorn libraire acheter ses Contes en français. Andersen voyageait toujours bonne musique. J’ai demandé au chef d’orchestre s’il savait quelque chose
septante années qu’il passa en ce monde, dix ans à l’étranger. Il le 13 juillet et rendit visite à des amis à Brunnen et au Locle. Le avec ses propres livres qu’il prêtait ou donnait à des personnes de Gade , l’hôtelier ne savait pas qui était Gade, mais le chef d’orchestre
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rappelait toujours qu’il « naquit au Danemark et qu’il était là chez lui », 13 août, il quitta cette ville pour gagner Yverdon en diligence, avec qui il sympathisait. Il lisait volontiers ses récits et histoires en dit que c’était un des compositeurs classiques remarquables. Je me suis pro-
mais il disait aussi : « Voyager, c’est vivre. Ce n’est que quand on voyage par le Val-de-Travers qu’il voulait découvrir, Môtiers en particu- public. L’après-midi : « Me suis promené le long du lac, sous de beaux mené un peu au bord du lac, qui déferlait sur la rive, le clair de lune posait
que la vie est riche et vivante. » Pour lui qui était d’un naturel anxieux, lier, parce que Jean-Jacques Rousseau y avait vécu. Ce faisant, il arbres (un saule pleureur), on construit un nouvel hôtel ici devant le débar- de l’or sur l’eau. C’était un soir délicieux pour rêver. Je décidai de rester là
il y avait du mérite à voyager à l’époque, mais il préparait minutieu- évitait aussi les tunnels de la ligne ferroviaire de Neuchâtel à La cadère, sera ouvert en mars 1861 [Beau-Rivage]. Le soir, les montagnes toute la journée de demain. »
sement ses voyages à l’aide de guides, le Baedeker par exemple. Chaux-de-Fonds dont l’un, « de plus de six minutes », l’avait rendu se sont tellement approchées, contours si clairs que l’on se croirait en Italie. « Dormi mieux qu’à Genève – peut-on lire dans son Journal en
Andersen découvrit la Suisse du 17 août au 19 septembre « très nerveux » à l’aller. Andersen appréciait pourtant la modernité, Ce fut une soirée tranquille. Les lumières dans la petite ville, de l’autre côté date du 2 juin 1868, puis – Me suis promené un peu dans Ouchy et ici
1833, lors d’un long voyage de quinze mois qui le conduisit d’abord donc les chemins de fer, mais il abhorrait les tunnels. Après une du lac, brillaient jusqu’ici. Les étoiles parurent. » dans le jardin sous les arbres ombreux. Il y a très peu de vapeurs ici, plu-
à Paris puis à Genève, Lausanne (il logea à l’Hôtel du Faucon, rue nuit passée à l’Hôtel de Londres, il prit le train pour Lausanne. Il commença la journée du 16 août par écrire à des connais- sieurs heures passent sans que l’on voie le moindre mouvement sur le lac.
Saint-Pierre), Neuchâtel, Le Locle (où il fut accueilli chez ses amis Là, il se rendit à Ouchy par l’omnibus et descendit à l’Hôtel de sances au Locle, à Copenhague, à Leipzig et à Londres. Andersen Etrangement, les gens de divers pays se croisent, l’un ne sait qui est l’autre.
Jürgensen, horlogers) , Neuchâtel, Lausanne, Brigue, le col du l’Ancre, aujourd’hui Hôtel d’Angleterre et Résidence. Cet éta- adorait ces relations épistolaires et entretenait une volumineuse On entend surtout parler anglais. » Après un petit déjeuner composé
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Simplon, Gondo où il quitta notre pays pour un long séjour en blissement était qualifié de « bon marché [billig] », dans le guide correspondance ; en contrepartie, il recevait presque quotidienne- d’œufs sur le plat, d’asperges et d’ale comme boisson, il se reposa.
Italie. Comme tous les romantiques, il fut fortement impressionné Baedeker Schweiz, édition de 1856. Héritage de son enfance pau- ment un abondant courrier. Il dîne chaque jour à l’hôtel et déplore À déjeuner, il conversa avec une dame anglaise et un monsieur
par les Alpes à la fois majestueuses et menaçantes. Il reviendra en vre, Andersen, quoique maintenant aisé, demeurait très ménager qu’il soit si peu fréquenté. En homme sensible et sociable, Andersen qui avait de la parenté dans la noblesse danoise et qui exprima sa
Suisse à douze reprises, en 1846, 1852, 1855, 1858, 1860, 1861 de son argent. Il chicanait parfois sur les notes d’hôtels. Il décrit aimait la convivialité, c’est pourquoi il préférait les pensions, qu’il joie de parler à un compatriote. Le 3 juin, Andersen prit l’omni-
(deux visites), 1862, 1867, 1868, 1869 et 1873 totalisant environ ainsi son arrivée à l’hôtel : « Dans l’omnibus pour Ouchy, il y avait trouvait plus chaleureuses, aux hôtels. bus jusqu’à la gare et monta dans le train à destination de Berne.
dix mois dont deux dans la région de Montreux qu’il appréciait une famille berlinoise ; à la table d’hôte à l’Hôtel Anker où j’habite, ils Le 17 août, un vendredi, il prit le bateau de 9 heures pour Ses impressions lausannoises se closent sur une note quelque peu
tout particulièrement. Son récit le plus long, la Vierge des glaces, se entendirent que j’étais Danois. ‹ Ainsi un ennemi ! › dit l’homme en Vevey où il descendit à l’Hôtel des Trois-Couronnes. Le lendemain, mesquine ; en effet, au moment de quitter l’hôtel, il eut droit à « un
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déroule entièrement en Suisse et s’achève sur la Riviera lémanique. souriant ; je dis mon nom, il y eut des cris de joie, on porta un ‹ skaal › il s’installa pour huit jours dans une pension à Vernex et revisita son tout petit verre de sherry » pour lequel il dut donner un franc : « On
Il le rédigea en grande partie dans notre pays en 1861. en mon honneur… » Plus loin dans son Journal, il ajoute : « J’ai eu cher château de Chillon, un de ses sites de prédilection. m’a sûrement floué », écrit-il.
Th. Müller, A Ouchy (Lausanne) Lac de Genève.
Lithographie imprimée par Lemercier, Paris, vers 1862.
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