Page 363 - Livre Beau-Rivage Palace
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Fig. 1                                                                   Fig. 2

 «OUCHYWOOD: BRÈVES RENCONTRES»    sionné quelques pellicules. Max Linder, résident régulier de l’hôtel,  sans donner d’information sur le pendant.
                      Malgré cela, le Beau-Rivage Palace a tout de même impres-
                                                                          et les sorties, qui ne sont en somme que l’avant et l’après événement,
 L’ARCHITECTURE DES PALACES   aurait, selon la légende, tourné sur les quais un film malheureuse-     Une datation précise de ces images est impossible en l’ab-

 DANS LE CINÉMA AU TRAVERS DE QUELQUES   ment perdu comme une grande part de sa production. Dans de   sence de tout indice tangible. Personne n’a eu la présence d’esprit,
                                                                          comme dans n’importe quel bon film d’espionnage, d’ouvrir un
                  nombreux films commandés par la commune de Lausanne pour
 EXEMPLES         promouvoir les qualités de la ville, et en particulier celles de la   quotidien face à la caméra de telle façon que nous puissions en
                  station touristique d’Ouchy, l’hôtel apparaît en toile de fond, entre
                                                                          lire le jour d’édition par grossissement. L’observateur en est donc
                  horloge fleurie et bateaux à vapeur. Mais il ne s’agit que d’une   réduit à des conjectures basées sur la mode vestimentaire ou le
                  simple figuration et bien peu d’informations peuvent être retirées   port de la moustache. Les hommes, en veste ou redingote, portent
                  de ces apparitions furtives.                            le canotier ou le chapeau melon, alors que les femmes sont vê-
                      Il existe cependant à la Cinémathèque suisse une série de   tues de robes amples, sans corset, et coiffées de chapeaux-cloches.
                  films amateurs déposés en 2001 et tournés au sein même de l’éta-  Ces indications permettent de situer l’événement dans les années
 Bruno CORTHÉSY
                  blissement par l’un de ses résidents, Francis McCann. Ce sont des   vingt ou trente, estimation plutôt insatisfaisante. Pour dater ces
    Dresser l’inventaire des images cinématographiques saisies au   cherchaient-elles davantage à fuir les préoccupations professionnelles   films muets, d’assez courte durée, malheureusement dépourvus de   images avec plus de précision, il faudrait mobiliser diverses discipli-
 Beau-Rivage Palace conduit à une grande désillusion. La consulta-  qu’à s’en créer de nouvelles. Sur la base des mêmes qualités paysagè-  tout protocole d’identification. Nous ignorons ainsi le moment et,  nes, opérer par recoupements afin de rétrécir la fenêtre temporelle
 tion de la Cinémathèque suisse, qui pourtant se trouve dans la même   res, un projet pour la construction de grands studios fut longuement   souvent, le sujet de ces différentes prises de vue. Cependant, dans   durant laquelle l’événement aurait pu avoir lieu. L’histoire de la
 ville, débouche sur une maigre récolte. Du fait de la magnificence   débattu à Montreux entre 1934 et 1942, mais demeura sans suite . La   l’une des séquences, les façades sud et nord du Beau-Rivage Palace   mode pourrait nous renseigner sur l’émergence de tel accessoire,
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 des décors et des avantages du site, nous pouvions cependant nous   Commission du film, Film location in Switzerland, organe qui a pour   sont clairement reconnaissables, ainsi que ses jardins (fig. 1). Nous   celle de l’automobile nous indiquer quand est sorti tel modèle…
 attendre à ce que nombre de producteurs aient jeté leur dévolu sur   mission, à l’instar de ce qui existe dans de nombreux autres pays,   y voyons une foule nombreuse réunie sur la terrasse donnant sur   et ainsi de suite jusqu’à permettre une approximation de quelques
 cet hôtel prestigieux comme lieu de tournage. Il faut se faire une   d’accueillir et de faciliter le travail des équipes de tournage étrangères,   le lac, échanger des salutations, former des groupes de discussion   mois. Il s’agirait ensuite de mettre la main sur le registre des grands
 raison : à l’exception de quelques films de promotion touristique,  ne s’y est pourtant pas trompée et a choisi Lausanne comme lieu   informelle, certaines personnes passant d’un groupe à l’autre, tout   événements mondains ou sur celui des congrès internationaux qui
 de rares films amateurs et de brèves apparitions dans deux ou trois   de fondation en 2003, trop récemment hélas pour que notre étude   le monde attendant, semble-t-il, de pénétrer dans le bâtiment. Cet   se sont déroulés au Beau-Rivage Palace, à n’en pas douter assez
 œuvres fictionnelles, le Beau-Rivage Palace n’a pas attiré l’œil de la   puisse s’enrichir d’exemples supplémentaires.  élégant aréopage mélange hommes de tous âges et femmes en robe   nombreux, et de les corréler avec cette approximation pour voir
 caméra aussi souvent que nous pourrions le croire.     Un des principaux obstacles à la réalisation de films dans les   et chapeau. L’événement qui les réunit doit avoir une certaine im-  émerger une date probable.
    Dans une perspective, tant rapprochée qu’élargie, tout pour-  palaces tient à la nature même de ces établissements. Ils s’adressent   portance car des journalistes, aisément repérables au trépied de leur      Mais que révélerait une telle enquête que nous ne sachions
 tant contribue à faire d’Ouchy un lieu de tournage idéal : inté-  en effet à une clientèle en quête de tranquillité et de discrétion,   caméra ou à l’inclinaison caractéristique qu’adopte l’usager d’un   déjà ? Que lors de ces réunions, les gens ont coutume de s’habiller
 rieurs fastueux, dégagements, verdure, environnement tout ensem-  qui réside parfois à l’année. Or un tournage draine une équipe   appareil photographique Rolleiflex, évoluent parmi l’assistance.  avec soin, qu’ils ont pour habitude de se retrouver dans les jardins
 ble urbain et bucolique, arrière-fonds historiques, proximité à la   bruyante et encombrante. Le gain d’occupation ne doit certaine-     Une autre séquence – mais s’agit-il bien du même événe-  et de converser ? Autant d’informations, convenons-en, qui n’en-
 fois de l’eau et de la montagne. Une variété et une multiplicité   ment pas se justifier d’un point vue économique en regard des   ment ? – nous  montre  une  foule  semblable  sortant  au  nord  du   richiront pas beaucoup nos connaissances sur l’événement histori-
 d’ambiances propres à faire le bonheur de toute équipe de pro-  nuisances occasionnées et des espaces temporairement condam-  bâtiment et attendant de toute évidence que les voitures soient   que. Nous en venons donc à la conclusion que si « une image vaut
 duction en quête de décors. Seule lui manque une météorologie   nés. Kiss of the Dragon de Chris Nahon, une production de Luc   avancées pour pouvoir s’y engouffrer (fig. 2). Des salutations sont   mille mots » – pour parodier le slogan d’une revue à sensation – mille
 constante pour garantir une lumière stable, condition qui a notam-  Besson en 2003 dont le scénario exigeait le déroulement dans   à nouveau échangées pendant que de luxueuses limousines s’avan-  photogrammes peuvent également ne rien dire du tout. À l’instar
 ment déterminé l’installation de l’essentiel de l’industrie américai-  les intérieurs de l’Hôtel de Crillon à Paris a dû, à titre d’exem-  cent effectivement le long du perron. Limité par les capacités tech-  du caméraman dépourvu d’éclairage artificiel, ou du simple passant
 ne sur la côte ouest des États-Unis. Les nombreuses personnalités   ple, exporter sa production au Montreux-Palace, seule institution   niques de sa pellicule, le caméraman amateur n’a pu filmer l’inté-  qui n’a pas les moyens de fréquenter de tels établissements, nous
 du septième art, dont le séjour au Beau-Rivage Palace est attesté,  hôtelière à l’aspect similaire, prête à accepter ce dérangement en   rieur du bâtiment insuffisamment éclairé ; il s’est contenté – ou s’est   sommes arrêtés au seuil de l’hôtel et de l’événement, à observer de
 auraient dû être attentives à ces multiples avantages ; mais sans doute   basse saison.  vu contraint – d’immortaliser d’un point de vue extérieur les entrées   loin une foule bigarrée sans rien comprendre à ce qui se passe.

 Francis McCann, film amateur tourné au Beau-Rivage Palace,               Francis McCann, film amateur tourné au Beau-Rivage Palace,
 date inconnue [fin des années trente].                                   date inconnue [fin des années trente].
 La façade sud de l’hôtel est reconnaissable à l’arrière-plan.            L’entrée du Beau-Rivage sur la façade nord est reconnaissable
 Selon le principe de l’arroseur arrosé ou du jeu des représentations emboîtées   grâce à sa marquise métallique et son appareillage de pierre.
 qui lui sont chers, McCann se fait filmer en train de photographier...
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