Page 86 - Livre Beau-Rivage Palace
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Fig. 6                                                  Fig. 7

          soient testés et introduits . La crise conjoncturelle des années 1875   sont à la pointe du progrès technologique : « Depuis plusieurs années,
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          à 1885, qui s’accompagne de mauvais résultats financiers (tab. 2),  nous vous entretenons, dans nos rapports, de la question des améliorations
          explique en partie cette attitude frileuse. En mai 1879, on recule   apportées ou à apporter dans notre hôtel; nous avons dit l’importance qu’il
          ainsi devant la modique somme de 700 francs que nécessiterait   y avait à offrir aux étrangers tout le confort qu’ils réclament dans une
          l’amélioration de l’éclairage extérieur : « […] le Conseil trouve que les   maison du rang de la nôtre et que leur donnent tous les hôtels similaires
          circonstances actuelles sont trop défavorables pour qu’il convienne de faire   de création récente. Lorsqu’il y a 32 ans, l’Hôtel Beau-Rivage a été ouvert,
          dans ce moment une amélioration convenable sans doute, mais qui n’est   on ne connaissait pas encore ce luxe que nous voyons aujourd’hui dans les
          pourtant pas urgente . » La méfiance qui est alors montrée à l’égard   hôtels récemment créés, et, ce qui constituait du confort alors ne représenterait
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          de l’innovation technique plonge également ses racines dans le ter-  actuellement que le strict nécessaire . »
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          reau culturel. La valeur symbolique d’investissements dans la tech-     Le statut d’établissement de 1  rang, incontesté au moment
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          nologie ne semble pas être clairement perçue et il en est de même   de l’ouverture de l’hôtel, est dès lors menacé.
          pour leur rentabilité à long terme.                         La réaction du Beau-Rivage à la pression technologique, dès
              La situation change rapidement à partir de la seconde moitié   1884, coïncide avec l’entrée de Fédor de Crousaz et Charles-Marc
          des années 1880. Plusieurs évolutions convergent alors pour aug-  Dapples, tous deux ingénieurs, au conseil d’administration (tab. 1).
          menter la pression à l’innovation technique. D’une part, le tournant   Neveu de Paul-Émile de Crousaz, président de la sio entre 1857
          du siècle se caractérise par une accélération de l’évolution techno-  et 1880, le premier est immédiatement catapulté à la présidence et
          logique, liée à la deuxième révolution industrielle . De nouvelles   reçoit, dès 1902, le statut d’administrateur-délégué. À sa mort, en
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          commodités sont mises au point, dont l’éclairage électrique est la   1906, le second lui succède à ces deux postes clés. Le duo d’ingé-
          manifestation la plus spectaculaire. D’autre part, les exigences de   nieurs est bientôt épaulé par Jacques Tschumi, à qui la direction de
                                                                                       er
          confort de la clientèle sont en continuelle augmentation. C’est no-  l’hôtel est confiée, dès le 1  janvier 1889. Conscient des vertus de
          tamment le cas dans le domaine de l’hygiène, où des améliorations   l’innovation technologique, le triumvirat fait souffler un vent de
          sont exigées par un mouvement social très influent. À partir des   réforme sur le Beau-Rivage. En l’espace de quelques années, l’hô-
          années 1890, au plus tard, la capacité d’offrir les dernières nou-  tel est équipé d’un nouveau système d’alimentation en eau, d’une
         veautés techniques à la clientèle devient un critère de distinction   buanderie avec chaudière à vapeur, de salles de bains à l’étage, de
          décisif dans l’hôtellerie de luxe. L’exemple vient des États-Unis,  cabinets d’aisance modernes, d’un ascenseur et d’un monte-charge
         via les grandes métropoles européennes . Cette logique apparaît   hydrauliques, puis d’un chauffage central à vapeur et d’une cen-
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          bien lors de l’installation d’aspirateurs à poussière au Beau-Rivage :    trale d’éclairage électrique. Les différentes transformations sont ra-
         « M. Tschumi explique que dans son opinion, ces appareils ne sont pas   pidement exploitées à des fins publicitaires (fig. 8).
          nécessaires, attendu qu’on a jusqu’ici enlevé sans grand inconvénient les      Cette stratégie de modernisation atteint toutefois ses limi-
          poussières par des moyens pratiques bien connus; mais que nous ne pouvons   tes au début du xx  siècle. Lors du conseil d’administration du 7
                                                                                 e
          pas nous dispenser de les installer dans nos hôtels, les étrangers les consi-  novembre 1903, Tschumi défend la nécessité de construire une
          dérant aujourd’hui comme un accessoire sans lequel une maison ne saurait   annexe plus moderne et luxueuse : « Il estime que l’Hôtel répond sans
          plus être qualifiée de maison de premier ordre . »      doute encore à la plupart des exigences actuelles, mais pas à toutes cepen-
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              Enfin, la montée en puissance du pôle touristique de la Riviera   dant. Les Américains ont introduit l’usage des cabinets de bain attenants
          lémanique ajoute encore à la pression qui s’exerce sur le Beau-  aux appartements des hôtels. Beaucoup d’hôtels en Suisse, à Genève,
          Rivage. Cette concurrence bénéficie en effet d’infrastructures qui   Zurich, Caux, etc. se sont mis au pas à cet égard. Nous ne pourrions faire

          Bateau Simplon I à Ouchy. Photographie, vers 1865.      Le port d’Ouchy après le déplacement du débarcadère
          À l’arrière du Beau-Rivage et du chalet, des coteaux plantés de vignes…  par la CGN. Photographie, 1921.



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