Page 89 - Livre Beau-Rivage Palace
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                  ces installations qu’aux dépens de beaucoup de place dans notre hôtel ac-  le système d’approvisionnement d’origine montre ses limites. La
                  tuel. Mieux vaut les faire dans une annexe. En outre, ce qu’on demande   conduite installée entre La Sallaz et Ouchy n’amène plus assez
                  beaucoup, ce sont les chambres à un lit, et nous en manquons aujourd’hui,  d’eau et les réservoirs de l’hôtel, placés dans les combles, sont
                  ce qui nous fait perdre beaucoup de clientèle, surtout parmi les Français. Ces   défectueux. En 1886, ces derniers sont remplacés par un réservoir
                  chambres à un lit doivent d’ailleurs avoir un cabinet de toilette: voilà encore   extérieur construit à la Croix-d’Ouchy, ce qui permet d’installer
                  une des exigences modernes! Et les autres hôtels de premier ordre s’arran-  une alimentation sous pression.
                  gent de manière à donner ces agréments aux étrangers. Pour conserver le      Dans le courant des années 1880 et 1890, les dirigeants du
                  rang de Beau-Rivage, il faut éviter que la concurrence réussisse à le devancer   Beau-Rivage sont intimement liés à la guerre des eaux qui fait
                  dans ce qu’on appelle le progrès. Une fois le rang perdu, on ne le reprend   rage à Lausanne . À l’instar d’autres milieux touristiques, ils crai-
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                  pas facilement. Nous devons craindre certains projets dans l’air à Lausanne,  gnent en effet que la municipalisation de ce service, qui est alors
                  et y parer en prenant les devants . »                   débattue, débouche sur la distribution d’une eau alimentaire lacus-
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                      La construction du Palace est alors débattue pendant plus   tre, moins salubre que l’eau de source. Selon eux, la réputation de
                  d’une année, car les tenants de la prudence financière et de l’esthéti-  Mecque médicale de Lausanne, qui contribue fortement à l’afflux
                  que architecturale, emmenés par le banquier privé Charles Auguste   d’étrangers, n’y survivrait pas. Administrateur du Beau-Rivage, le
                  Bugnion , s’y opposent : « Il conteste la beauté de ce projet, qu’il estime   banquier privé Marc Morel-Marcel s’engage sans retenue dans ce
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                  anti-artistique, absolument déplorable, et de nature à gâter gravement, dans   combat (tab. 1). Réalisée en 1901, la municipalisation satisfait le
                  un sens purement industriel, le caractère spécial, si apprécié jusqu’ici de notre   point de vue touristique, puisqu’elle s’effectue grâce à l’achat de
                  hôtel. La dépense ne l’aurait d’ailleurs pas effrayé, mais il voudrait un tout   l’eau de source du Pays-d’Enhaut. Entre 1902 et 1907, la sio négo-
                  autre emploi des deux millions au moins que nous allons consacrer à une   cie les conditions de la municipalisation de son réseau hydraulique.
                  extension aussi mal conçue. C’est le projet lui-même qu’il critique vivement.  La création du service public assure en effet une alimentation en
                  Il ne veut pas de cet hôtel ‹ Mammouth › qui enlève tout le charme du Beau-  eau régulière et bon marché, tout en délestant la société des coûts
                  Rivage que nous connaissons. M. Bugnion craint que nous nous laissions   d’entretien des infrastructures. À terme, la municipalisation doit
                  ‹ agiter › par les grandes entreprises de Montreux . »   aussi améliorer la salubrité des eaux distribuées. Récurrentes au
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                      La stratégie des partisans de la modernisation technique, qui   xix  siècle, les épidémies de fièvre typhoïde ont des répercussions
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                  privilégient le confort intérieur de l’hôtel à son esthétique exté-  catastrophiques sur l’image de Lausanne et le développement de
                  rieure, finit toutefois par l’emporter, autant au sein des administra-  son tourisme médical. Après l’épidémie de 1891, la Société des
                  teurs que de l’assemblée des actionnaires.              eaux de Lausanne est accusée d’avoir négligé l’entretien de ses
                                                                          conduites. En 1901, les administrateurs de la sio cherchent à étouf-
                  LA QUESTION DE L’EAU                                    fer de nouveaux cas, imputés à l’eau que la société distribue dans le
                      Durant les quatre premières décennies d’exploitation du   voisinage . En 1904, onze cas sont encore répertoriés au Château
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                  Beau-Rivage, les questions techniques liées à l’approvisionne-  d’Ouchy et cinq au Beau-Rivage, provoquant trois décès.
                  ment en eau sont au centre des préoccupations des dirigeants      L’eau ne sert pas uniquement à s’alimenter, mais aussi à laver le
                  de l’hôtel. Avant la création d’un service des eaux municipal, en   corps et à évacuer les immondices. Dans ce domaine, les conceptions
                  1901, il leur appartient en effet de négocier l’achat d’eau avec les   hygiénistes, qui gagnent du terrain tout au long du xix  siècle, exi-
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                  différentes sociétés privées lausannoises et de réaliser son adduc-  gent des installations de bains modernes et des cabinets d’aisance
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                  tion jusqu’au Beau-Rivage . Or, dès le début des années 1880,  salubres et inodores . Dès 1881, l’insuffisance des installations
                  < Convention passée entre l’ingénieur William Fraisse, agissant pour la SIO,  L’importance de l’innovation technique et du confort moderne comme argument
                  et Antoine Gros, fontenier, pour l’établissement et l’entretien de la conduite d’eau   publicitaire à la Belle Époque, annonce parue dans : Lausanne-Ouchy,
                  alimentant le Beau-Rivage, 18 septembre 1867, (extraits). Comme A. Gros ne sait   Western Switzerland, brochure-guide publiée par la Société pour le Développement
                  ni lire ni écrire, deux témoins attestent que le texte lui a été lu et qu’il y   de Lausanne, 1899.
                  « a fait sa marque [une croix] au lieu de signature ».
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