Page 71 - Livre Beau-Rivage Palace
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Si l’heure est à l’économie chez le client, elle l’est aussi pour momentané qui profite aux hôtels de premier rang : « Ce qui est position avec l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale. Elle lui On aura vite compris que la guerre provoque son cortège
la direction. Économie, le mot ne lasse pas d’être répété et remâ- certain, c’est que les nombreuses mesures sociales et économiques pri- assure une indépendance financière à un moment où la plupart des de malheurs, de compassions, mais aussi de lâchetés. C’est aussi
ché : économie sur le personnel, économie sur le chauffage, éco- ses, particulièrement en France par le gouvernement actuel, ont abouti à établissements hôteliers suisses peinent à gérer convenablement leur dire que la direction de l’hôtel fait face à de multiples embarras
nomie sur les fournitures, économie sur les dépenses : « Il importe un renchérissement brusque et considérable de la vie, et y ont causé un service et se trouvent en mal de liquidités. qui rendent sa gestion compliquée : la question des mobilisés, leur
évidemment d’attirer et de conserver en Suisse le touriste étranger, mais en malaise général suffisamment grand, pour que beaucoup, cherchant à y Une question légitime se pose : qui vient encore dans les hô- remplacement continuel, les complications policières vis-à-vis des
attendant il faut équilibrer nos budgets en comprimant les dépenses plutôt échapper, soient venus en Suisse espérant y trouver une atmosphère moins tels durant ces périodes agitées ? Pourquoi y vient-on ? La question hôtes, les « tracasseries excessives » de l’office du chômage, les appro-
qu’en escomptant un accroissement problématique de recettes . » Tout est trouble. Nous jouissons pour le moment encore, en Suisse d’un prestige de est importante, car on a vite fait de conclure au départ précipité de visionnements, « les questions saugrenues que pose continuellement une
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prétexte à économie, mais cela a aussi ses limites, car à la diffé- sécurité et de tranquillité, qu’il faut maintenir à tout prix aussi bien pour tous les hôtes, soucieux de rejoindre leur pays et leur famille. C’est clientèle inquiète et avide de renseignements ».
rence d’un secteur commercial dénué de valeur symbolique forte, nous mêmes que pour nos hôtes . » le cas de nombreuses personnes. Mais, pour d’autres, l’hôtel est un Dépendante des mesures prises par les autorités fédérales, la
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l’hôtel de luxe a ses règles propres qui font de la visibilité une Apeurés par les menaces socialistes et communistes, bour- refuge au moment où les combats transforment les pays belligérants direction est en même temps liée à la bonne tenue de l’hôtel : « A
donnée déterminante dans le renom d’un établissement : « Tout geois et aristocrates français qui deviennent majoritaires à l’hôtel en cimetières : « Aujourd’hui en Suisse, nous ne pouvons plus compter que côté des difficultés de ravitaillement, des jours sans viande et du marché sans
cela naturellement en prenant grand soin de conserver la tenue et la répu- ont les capacités financières d’assurer leur existence dans les sa- sur nous-mêmes. Pour les hôtels de la classe du Beau-Rivage, la situation est poissons, l’application des prescriptions et ordonnances ne se fait pas toujours
tation de Beau-Rivage. Ni l’immeuble, ni le mobilier, ni la vie apparente lons feutrés des palaces helvétiques. Qui plus est, si la résistance difficile. Nous avons des clients fidèles dont les ressources permettent encore facilement. Si ceux de nos hôtes qui ont vécu à leur ménage comprennent
de l’hôtel ne doivent exhaler ce parfum d’économie qui fait le vide autour aux dérives conjoncturelles n’est pas toujours possible dans un de vivre chez nous, à condition, bien entendu de réduire au minimum toutes les restrictions et s’y soumettent volontiers, ceux qui vivent toujours dans les
de soi . » Les limites sont aussi celles qui touchent le personnel environnement hostile, les résistances aux mesures politiques sont dépenses d’agrément ou de luxe. D’autres ont dû nous quitter, pour s’installer grands hôtels internationaux ont eu de la peine à se plier aux exigences d’un
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dont le nombre est trop grand en regard du nombre d’hôtes. Mais mieux évaluées. La défense de la clientèle passe tout d’abord par dans des maisons plus modestes, car les hôtels suisses sont classés en catégories. temps de guerre, dans un pays qui n’est pas lui-même en guerre . »
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la direction s’oppose à n’agir que sous l’angle économique, car le maintien des prix et même leur baisse alors que les hôtels de A chacune d’elles est imposé un prix de pension minimum . » Entre 1914 et 1945, Beau-Rivage Palace traverse les temps
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« nous ne voulons pas renvoyer des hommes et des femmes qui travaillent second rang et les pensions ne cessent d’adapter les leurs au ren- Durant la Seconde Guerre mondiale, les trois quarts des troublés par les événements internationaux sans jamais réellement
avec dévouement à l’hôtel depuis 15, 20 ou 25 ans ». chérissement du coût de la vie. Elle passe aussi par une attaque nuitées sont réalisés par une clientèle qui loge à demeure à l’hôtel, se trouver au bord du gouffre. Même si les déficits annoncés aux
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Un autre aspect délicat s’avère le rapport à l’innovation qui très vive contre la politique de la Confédération, et notamment soit entre 60 et 70 personnes. Ce sont des Français, des Anglais, actionnaires traduisent des difficultés réelles de gestion, les comp-
demeure un point important pour cette catégorie d’hôtel. Cédric son refus de dévaluer. En maintenant un franc fort, le Conseil fé- des Américains, des Italiens, des Roumains et quelques Suisses re- tes d’exploitation gardent tous des soldes positifs. Le recours aux
Humair en montre les singularités jusqu’à la Première Guerre mon- déral prive le Beau-Rivage Palace d’un moyen visant à assouplir venus de l’étranger. Mais pas d’Allemands. Ils sont regroupés dans réserves permet le maintien d’équilibres précaires, le renoncement
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diale . La prudence avec laquelle le Beau-Rivage Palace aborde les la cherté de ses prix face à sa clientèle étrangère. Le refus de les le vieil hôtel. Le bâtiment ouest est fermé, car grand consom- à des investissements allège aussi les finances. La stratégie est toute
innovations est encore décuplée par les temps incertains qui règnent augmenter se comprend d’autant mieux. mateur de combustible. Le dernier quart provient des passants, de prudence, à l’écoute des moindres bruissements dans un sens ou
dès 1914 et jusqu’en 1945. La direction avoue que cette attitude Le déclenchement des guerres mondiales frappe de plein fouet suisses pour la plupart, dont le séjour varie d’un week-end à deux dans un autre. Même si elle est entrecoupée d’années bénéfiques,
tranche avec beaucoup d’autres hôtels qui poursuivent dans leur l’hôtellerie suisse. Celle-ci tranche avec d’autres secteurs économi- ou trois semaines. cette période marque clairement un temps d’arrêt dans l’histoire
élan innovateur comme si la conjoncture s’y prêtait tout naturelle- ques qui profitent de ces nouvelles conditions. Dans les deux cas, le La recherche de ce type d’établissements durant la Seconde de l’hôtel. Si la gestion et l’exploitation font l’objet dorénavant
ment. Mais la définition des limites à néanmoins franchir est dictée Beau-Rivage Palace, comme d’autres établissements de son genre, Guerre mondiale prend cependant des accents tragiques pour les d’enseignements établis dans les écoles hôtelières et sont peu à peu
par les exigences de la clientèle qui croissent continuellement. voit ses hôtes s’éloigner et ses chambres se vider. Mais dans les deux populations pourchassées en raison de leur origine :« Des disposi- considérées comme des matières scientifiques à part entière dans
Gardons-nous cependant de toute caricature. Si le Beau- cas, il sait résister et estime même sa situation meilleure que celle tions sévères ont été prises par nos autorités vis-à-vis de l’afflux en Suisse de les universités, leurs substances ont peu de prise contre les agres-
Rivage Palace économise, s’il se tient aux abois, s’il se montre dans laquelle se trouvent ses concurrents. Dans les deux cas aussi, familles qui pensaient ne pouvoir s’acclimater au nouvel espace vital qui leur sions politiques, militaires et économiques.
prudent, il est aussi capable d’entretenir, d’améliorer, de rajeunir. la santé financière de la société lui permet d’assurer son proche était assigné. Nous connaissons quelque cas où des familles désirant séjourner
Mais il sait aussi profiter des circonstances. La signature des trai- avenir sans recourir à des emprunts. Les réserves accumulées lors à Beau-Rivage, offraient de déposer en banque des sommes même considé- 1946-1976 : L’HÔTELLERIE GLORIEUSE
tés de paix en 1923 est l’occasion d’un afflux, certes momen- des périodes d’avant-guerre la tirent des mauvais pas dès 1914. La rables, destinées à garantir leur entretien pendant longtemps. Le permis de Les trente années qui suivent la fin de la Seconde Guerre
tané, de clients. En 1936, le gouvernement du Front populaire décision que prend la direction de rembourser toutes les dettes et séjour leur fut refusé. Nous le regrettons sans nous permettre de critiquer des mondiale sont caractérisées, sur le plan économique, par une autre
pousse aussi de nombreux Français à trouver en Suisse un refuge d’augmenter en conséquence le capital-actions renforce encore sa décisions dont nous ignorons les motifs réels . » Belle Époque que l’on dénomme plus prosaïquement les « trente
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Le jardin d’hiver du Palace. Football Club du Beau-Rivage.
Au dos de la carte postale, un texte manuscrit atteste l’activité constructive que Photographie, 1920.
connaît alors la ville: « Vernand, 19 septembre 1910. Voilà bien des sièges qui
invitent à la sieste, lequel aura vos faveurs ? Les palais se multiplient à Lausanne
& Ouchy et les simples maisons deviennent vraiment chose rare. »
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